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Dossier

Tiers payant : l’étude qui relance la polémique

Un observatoire pour détecter les retards de paiement aux médecins

Publié le 17/10/2014
Un observatoire pour détecter les retards de paiement aux médecins


fotolia

Le règlement du tiers payant prend du temps, beaucoup de temps, et beaucoup plus qu’annoncé par les pouvoirs publics… C’est ce que met en évidence une étude réalisée par un généraliste de Tourcoing. À partir de cette enquête de suivi de 65 000 factures dans son cabinet de groupe, le Dr Bertrand Legrand a décidé de mettre en place un « ?Observatoire du tiers payant ». Objectif : faire participer le maximum de confrères et déboucher sur des chiffres opposables aux caisses.

Le cas de Bertrand Legrand (photo) qui fait aujourd’hui beaucoup plus de tiers payant que la moyenne est sans doute à méditer par ses confrères. À la veille de la généralisation du tiers payant, prévue par la loi santé de Marisol Touraine, ce jeune médecin généraliste installé à Tourcoing a, en tout cas, décidé de faire partager son expérience. Il a repris le cabinet de son père, il y a huit ans. À cette occasion, il a constaté qu’entre 10 et 20 % des factures en tiers payant étaient impayées. Un problème aux répercussions financières lourdes pour ce généraliste dont 80 % de la patientèle bénéficie de l’Aide médicale de l’État (AME), de la CMU ou souffre d’ALD.

Afin de remédier à cette situation, il a donc mis en place avec un jeune confrère, au sein de sa structure, un service de suivi des remboursements. Ce qui l’a amené, par la force des choses, à s’intéresser au temps mis par l’Assurance Maladie pour lui verser le tiers payant. Et à faire une découverte surprenante : toutes factures confondues, il s’écoule 10,7 jours entre leur émission par le médecin et leur paiement. Un constat bien loin des cinq jours indiqués par l’IGAS dans ce rapport de juillet 2013 sur le tiers payant. Et tout aussi différent des délais conventionnels. Dans son cabinet de cinq généralistes, les feuilles de soin électronique (FSE) sont payées plus de 6 jours après leur émission alors que la Convention prévoit un délai inférieur à cinq jours.

Pour Bertrand Legrand, ce résultat est en soi « très, très inquiétant car, souligne-t-il,  c’est là où il y a le moins d’intervention humaine ». Quant aux FSP, « c’est juste une catastrophe », selon lui, le délai mesuré s’approchant des deux mois là où la Convention envisage vingt jours au maximum à compter de la réception !

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Si ces résultats ont surpris les auteurs de l’étude, elle conforte les réticences des syndicats. « Cela fait des mois qu’on dit que les délais ne correspondent pas à ceux annoncés », rappelle Luc Duquesnel, président de l’UNOF, précisant que c’est à ce titre que son syndicat s’oppose à la généralisation du tiers payant. Même analyse du côté de MG France pour qui cette étude atteste de la réalité de la situation des médecins généralistes. De l’avis de Claude Leicher, chef de file du syndicat, elle confirme que « le système actuel n’est ni garanti ni simple et demande un travail administratif supplémentaire ». Il évoque aussi le micmac suscité par les changements d’identifiants de factures entre leur émission et leur paiement.

Un « Observatoire du tiers payant »

Pour mener jusqu’au bout la démonstration, Bertrand Legrand envisage désormais d’aller au-delà de son étude réalisée à partir du suivi de 65 000 factures émises entre septembre 2009 et décembre 2013 par son cabinet de généralistes.

Pour effacer les biais et dépasser les particularismes locaux, ce généraliste maître de stage a décidé de lancer un « Observatoire du tiers payant ». Il s’agira d’un site Internet doté d’un système analysant les relevés mensuels des médecins. Après avoir téléchargé son fichier de paiement sur Ameli, tout médecin généraliste pourra soumettre les données qu’il contient à cette vigie virtuelle. Celle-ci se chargera alors d’anonymiser les renseignements et signifiera immédiatement au praticien l’état de paiement de ses factures en tiers payant. Plus encore, cet outil devrait refléter l’état du règlement du tiers payant à l’échelle de l’Hexagone. Son promoteur considère qu’il disposera de résultats significatifs dès lors qu’un million de données seront récoltées. Un objectif tenable un mois après le lancement du site qui devrait ouvrir dans quelques jours.

Où trouver un fonds de roulement ?

En creux, se pose la question cruciale des finances et marges de trésorerie des médecins généralistes car, en attendant d’être rémunérés, où ceux-ci trouveront-ils leur fonds de roulement ? Un détail aujourd’hui, mais qui pourrait prendre des proportions colossales dès lors que le tiers payant sera généralisé et concernera l’ensemble des colloques singuliers et non 15 % des actes de généralistes comme aujourd’hui. Le décalage entre la consultation et son paiement risquant alors d’occasionner un trou de trésorerie chez les médecins.

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Regrettant l’absence de culture économique de ses confrères, Bertrand Legrand les met en garde : « La première inquiétude des chefs d’entreprises, qui est également la première cause de faillite, réside dans les problèmes de trésorerie. Aujourd’hui, un médecin n’a pas besoin de fonds d’avance car le paiement est à J 0 ». Mais, selon lui, quand les patients n’auront plus de frais à avancer, « le paiement interviendra à J +30 ».

Extrapolant ces constatations, il prédit que les retards observés dans son cabinet connaîtront une croissance exponentielle avec la généralisation du système.

 

Des retards lourds de conséquences

Avec des conséquences fâcheuses : selon lui, les généralistes devront disposer d’un double mois de trésorerie à la mise en place du tiers payant. Sans compter l’intemporel fonds de roulement… Autant d’aspects qui ne semblent pas avoir été évalués par les pouvoirs publics dans la perspective de la loi Santé, même si l’IGAS fait de la neutralité financière du dispositif une condition sine qua non de son succès. Comme le note Claude Leicher, les généralistes fonctionnent « à flux tendu ». En ce sens, il lui semble impératif que ses confrères soient payés dans les temps prévus par les textes – de la Convention et de l’IGAS – et non dans des délais deux à trois fois plus importants.

Au passage, Bertrand Legrand s’insurge contre l’impunité dont bénéficie la Caisse. « Personne ne s’alarme du fait que la Caisse s’éloigne des règles », regrette-il. « Je n’ai pas de problème avec le tiers payant », affirme cet adhérent à la CSMF qui précise d’emblée ne pas parler au nom de son syndicat. Pour lui, la Convention devrait être opposable autant à la Caisse qu’aux médecins. Or, la première n’est pas sanctionnée quand elle s’écarte du texte… En tout état de cause, il considère que l’Assurance Maladie n’est pas en mesure, aujourd’hui, d’assurer effectivement la réalisation du tiers payant. Lequel, dans sa version généralisée, demandera aux généralistes un certain effort financier. Et aucun bonus par jour de retard de paiement n’est envisagé.

Un avant-goût des difficultés à venir

Et si c’était pire encore ? À entendre Luc Duquesnel, cette étude n’offre sans doute qu’un avant-goût édulcoré des difficultés à venir. Le leader de l’UNOF pointe la nature « simple » des tiers payants gérés par le Dr Legrand, tous étant intégralement remboursés par la Sécurité sociale. Or, avec la généralisation, ce sont près de 400 complémentaires qui vont rejoindre le dispositif ! Et complexifier d’autant la surveillance des remboursements pour les généralistes. Claude Leicher souhaite que l’Assurance Maladie et les complémentaires mettent en place un système où « ce qui est envoyé par carte vitale est payé automatiquement », la Caisse, devenant le seul interlocuteur des praticiens et complémentaires santé.

Selon Bertrand Legrand, pour atteindre un taux de remboursement proche de 100 %, une secrétaire de son cabinet consacre 20 heures hebdomadaires au suivi des feuilles de soins. Et demain ? La question interpelle Luc Duquesnel : « Alors qu’on veut aller vers plus de simplification, on rajoute du travail administratif à la charge des généralistes ».