Pr Hang Korng Ea (Hôpital Lariboisière, AP-HP)

Goutte : « des données récentes incitent à modifier nos stratégies thérapeutiques ».

Publié le 31/10/2024
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Au cours de ces dernières années, les connaissances sur la physiopathologie des crises et leurs conséquences systémiques, ainsi que sur la cinétique de dissolution des dépôts, ont beaucoup progressé. Ces nouvelles données plaident pour une utilisation préférentielle et prolongée de la colchicine en traitement de crise et pour des objectifs cibles d’uricémie plus stricts en début de traitement hypouricémiant. Sur le plan fondamental, des travaux récents ouvrent des perspectives thérapeutiques pour la prise en charge des crises de goutte, comme l’explique le Pr Hang Korng Ea (Hôpital Lariboisière, AP-HP)

Crédit photo : marc lavaud

Maladie ancestrale décrite depuis Hippocrate, la goutte reste mal prise en charge malgré la disponibilité de traitements hypouricémiants (THU) très efficaces et des recommandations nationales et internationales simples à appliquer. Initier à faible dose puis adapter progressivement et régulièrement jusqu’à obtenir l’uricémie cible, inférieure à 300 µmol/L, le THU permet la guérison de la maladie chez tous les patients observants. Pour rappel, le THU est initié à distance d’une crise et doit être associé à une prophylaxie des crises pendant au moins 6 mois, prophylaxie qui est prolongée jusqu’à la disparition des tophus chez les patients ayant une goutte tophacée.

Des données récentes sur la physiopathologie des crises et leurs conséquences systémiques, la dissolution lente des dépôts incitent à modifier nos stratégies thérapeutiques.

Des arguments pour une utilisation plus large de la colchicine

Les 4 options thérapeutiques d’une crise de goutte sont la colchicine, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les corticoïdes et les bloqueurs de l’interleukine (IL)-1β. Ces 4 modalités ont une efficacité équivalente lorsqu’on prend comme critère de jugement une diminution de plus 50% de la douleur initiale après 24-72 heures de traitement. Les recommandations nationales et internationales préconisent en première intention soit la colchicine, les AINS ou les corticoïdes. Les inhibiteurs de l’IL-1β sont proposés aux patients ayant des crises récidivantes ou n’ayant pas toléré ou répondu aux autres modalités thérapeutiques. Le choix du traitement dépend donc surtout de la présence des comorbidités et des contre-indications et interactions des médicaments.

Cependant, des données nouvelles sur les conséquences d’une crise de goutte sont en faveur de l’utilisation de la colchicine en première intention. En effet, les crises de gouttes sont associées à un risque accru d’événements cardiovasculaires (CV) avec un risque augmenté de 50 à 90% durant 1 à 4 mois après la crise (1-3). Ce risque existe dès la première crise et dure un mois (3). En parallèle, des études montrent que la colchicine à faible dose permet de diminuer les événements CV graves de 18 à 31% chez des patients avec maladies coronariennes stables ou instables (4,5). De plus, une communication récente au congrès de rhumatologie européenne (EULAR 2024) montre que la prophylaxie par colchicine lors de l’introduction du THU diminue de 18% le risque d’événement CV par rapport à un THU sans prophylaxie. Il semble ainsi logique de favoriser la colchicine dans le traitement des crises pour ses effets cardioprotecteurs et de prolonger le traitement de la crise par une dose prophylactique pendant quelques mois.

THU, la cible optimale d’uricémie revue à la baisse

Les recommandations nationales et internationales préconisent une uricémie inférieure à 300 µmol/L sous THU, voire plus basse pour les patients avec une goutte tophacée pour accélérer la dissolution des cristaux. Mais cette dissolution est lente lorsque l’uricémie cible est de 300 µmol/L. L’étude prospective norvégienne sur la cohorte Nor-Gout a montré les résultats après 2 ans de suivi sur 187 patients qui ont eu des scanners double énergie (DECT) à l’inclusion puis à 12 et 24 mois. L’uricémie moyenne était de 311 et 322 µmol/L après respectivement 12 et 24 mois de traitement. A 2 ans, 9.1% des patients avaient encore des tophus palpables et les dépôts de cristaux étaient détectés par DECT à la métatarso-phalangienne et aux tendons chez respectivement 21.1% et 13.9% des patients (6). Les analyses récentes des variations sur 12 mois des volumes des dépôts de cristaux d’urate par DECT en fonction de l’uricémie montrent que la réduction des dépôts est plus importante pour les uricémies inférieures à 240 µmol/L par rapport à une uricémie entre 240 et 290 µmol/L (7). La dissolution des cristaux d’urate apparaît ainsi très lente pour une uricémie cible autour de 300 µmol/L. La persistance des cristaux augmente le risque de crise et donc d’événement CV. Il semble ainsi préférable en début de traitement de viser une uricémie cible plus basse, inférieure à 240 µmol/L pour accélérer la dissolution des cristaux et diminuer le risque CV lié aux crises.

Quelles nouveautés sur le plan fondamental ?

Une analyse génétique sur plus 2.6 millions de participants dont 120 295 patients goutteux a identifié 377 loci et 410 signaux génétiques associés à la goutte et l’hyperuricémie (8). L’étude a identifié des gènes associés au passage de l’hyperuricémie asymptomatique à la goutte, mettant en avant le rôle des gènes impliqués dans les modulations épigénétiques, de l’osmolarité cellulaire comme l’aquaporine 10, et de l’activité de l’inflammasome NLRP3 ainsi que ceux impliqués dans l’hématopoïèse clonale à signification indéterminée, qui ont un rôle dans la régulation épigénétique.

Nous avons aussi observé un rôle important de l’osmolarité dans l’inflammation microscristalline et l’activation de l’inflammasome NLRP3. Un stress hypotonique entraîne un gonflement cellulaire qui est suivi d’un mécanisme de régulation appelé « régulation de décroissance volumique ou RVD pour regulatory volume decrease permettant à la cellule l’export d’osmole puis la sortie d’eau et de revenir à son volume initial. Les cristaux d’urate entraînent un phénomène identique avec un gonflement cellulaire suivi d’une décroissance volumique. Cette réponse RVD dépend de l’activation du canal anionique VRAC/LRRC8. L’activation de LRRC8 permet la sortie d’anion mais aussi de l’ATP, un puissant activateur de l’inflammasome NLRP3 (9). Ces données sont soutenues par l’identification du rôle de l’osmolarité dans l’étude génétique.

Enfin, grâce à la mise en place d’une cohorte prospective de patients goutteux avec des collections biologiques effectuées à différents stades de la maladie (en crise, en période intercritique et après obtention de l’uricémie cible), nous avons identifié des facteurs inflammatoires importants impliqués dans la crise de goutte et possiblement les risques CV : l’IL-6, le TNFSF14, le VEGFA et le CSF1 (10).

Ces nouvelles données ouvrent des perspectives thérapeutiques pour la prise en charge des crises de goutte.

Réferences :

1. Cipolletta E, et al. Association Between Gout Flare and Subsequent Cardiovascular Events Among Patients With Gout. JAMA. 2022 Aug 2;328(5):440-450. doi: 10.1001/jama.2022.11390.
2. Lopez D, et al. Risk of Major Adverse Cardiovascular Event Following Incident Hospitalization for Acute Gout: A Western Australian Population-Level Linked Data Study. ACR Open Rheumatol. 2023 Jun;5(6):298-304. doi: 10.1002/acr2.11540
3. Cipolletta E, et al. Short-Term Risk of Cardiovascular Events in People Newly Diagnosed With Gout. Arthritis Rheumatol. 2024 Sep 15. doi: 10.1002/art.42986.
4. Nidorf SM, et al. LoDoCo2 Trial Investigators. Colchicine in Patients with Chronic Coronary Disease. N Engl J Med. 2020 Nov 5;383(19):1838-1847. doi: 10.1056/NEJMoa2021372.
5. Tardif JC et al. Efficacy and Safety of Low-dose Colchicine after Myocardial Infarction. N Engl J Med. 2019 Dec 26;381(26):2497-2505. doi: 10.1056/NEJMoa1912388.
6. Uhlig T, et al. Two-year reduction of dual-energy CT urate depositions during a treat-to-target strategy in gout in the NOR-Gout longitudinal study. Rheumatology (Oxford). 2022 Apr 18;61(SI):SI81-SI85. doi: 10.1093/rheumatology/keab533
7. Kelly B, et al. Relationship between serum urate and changes in dual-energy CT monosodium urate crystal volume over 1 year in people with gout: an individual participant data analysis. Ann Rheum Dis. 2024 Aug 24:ard-2024-226059. doi: 10.1136/ard-2024-226059
8. Major TJ, et al. A genome-wide association analysis reveals new pathogenic pathways in gout. Nat Genet. 2024 Oct 15. doi: 10.1038/s41588-024-01921-5.
9. Chirayath TW, et al. Activation of osmo-sensitive LRRC8 anion channels in macrophages is important for micro-crystallin joint inflammation. Nat Commun. 2024 Sep 18;15(1):8179. doi: 10.1038/s41467-024-52543-810. Ea HK, et al. Systemic inflammatory cytokine profiles in patients with gout during flare, intercritical and treat-to-target phases: TNFSF14 as new biomarker. Ann Rheum Dis. 2024 Jun 12;83(7):945-956. doi: 10.1136/ard-2023-225305

 

Hang Korng Ea (Hôpital Lariboisière, AP-HP)

Source : lequotidiendumedecin.fr