Alors même que les fractures par fragilité chez les patients ostéoporotiques continuent d’augmenter en nombre et d’être insuffisamment prises en charge, les essais cliniques dans ce domaine sont « en panne »... Aucun protocole en cours… Un désinvestissement préoccupant des industriels… Une lourdeur logistique et financière impossible à assumer pour les essais académiques… Devant ce constat inquiétant à bien des égards, les investigateurs se mobilisent pour tenter de sortir de l’impasse !
La mesure de DMO est utilisée depuis de nombreuses années pour évaluer la fragilité osseuse et de nombreuses recommandations de pratiques cliniques retiennent des seuils densitométriques pour valider l’indication d’un médicament antiostéoporotique. Jusqu’à maintenant, elle est considérée comme un critère secondaire d’efficacité dans les essais cliniques dont le pivot de l’évaluation reste la fracture. La raison en est que la DMO ne reflète que partiellement la résistance mécanique des os et donc évaluerait imparfaitement (ou du moins incomplètement) la fragilité osseuse et le risque de fracture. Mais la fracture est rare… du moins à l’échelle des populations de quelques milliers de patients inclus dans les essais ostéoporose.
Identifier de nouveaux critères d’évaluation
Le « Bone Quality Project » a été lancé il y a plusieurs années par la Fondation du National Institute of Health américain. L’objectif de ce projet ambitieux est d’identifier des biomarqueurs de résistance osseuse qui pourraient devenir des critères d’évaluation des nouveaux médicaments. Ce partenariat public-privé tire parti des données individuelles de plus de 150 000 participants dans tous les principaux essais cliniques de médicaments de l'ostéoporose. Les données concernant la relation entre la variation de DMO et la réduction du risque de fracture ont été rapportées dans deux communications orales du récent congrès de l’ASBMR (1,2) et dans une publication dans Lancet Diabetes Endocrinology d’août 2020 (3).
La variation de la DMO comme marqueur d’efficacité ?
Dans une analyse groupée des données individuelles de patients à risque accru de fracture par fragilité, provenant de plusieurs essais cliniques randomisés (contrôlés par placebo) portant sur des médicaments contre l'ostéoporose, le pourcentage de variation moyenne de la DMO sur 24 mois a été calculé ainsi que les réductions des fractures (3). Une méta régression a permis de déterminer une association significative entre les différences liées au traitement dans les modifications de la DMO vertébrale et fémorale et la réduction du risque de fracture vertébrale, non vertébrale ou de hanche. Les auteurs ont aussi déterminé la proportion de l'effet du traitement anti-fracture expliqué par les changements de DMO : les modifications de la DMO fémorale expliquent 44 à 67 % de réduction du risque de fracture lié au traitement. Ils ont également évalué les variations minimales de DMO nécessaires dans les essais futurs pour garantir l'efficacité de la réduction des fractures : une variation (en pourcentage sur 24 mois) de la DMO totale de la hanche de 1,42 % à 3,18 % indique presque à coup sûr une réduction des fractures.
Cet effet de seuil de substitution a été évalué pour différents niveaux de réduction du risque de fracture, pour les différents types de fractures, en fonction des variations de DMO de la hanche totale (voir tableau).
Une stratification en sous-groupes en fonction de la DMO initiale au col fémoral (T-score ≤ -2,5 ou > -2,5) suggère que, bien que la réduction du risque de fracture soit significative dans les deux sous-groupes, elle est plus importante chez les femmes ayant une DMO plus basse au début du traitement (2).
Un « retour vers le futur » ?
Incontestablement, les conclusions de ces travaux semblent robustes. Tout aussi incontestablement, il est nécessaire de trouver une (bonne) solution pour sortir de l’impasse du développement des médicaments de l’ostéoporose et relancer une dynamique terriblement amortie ces dernières années par les difficultés méthodologiques mais aussi par quelques échecs retentissants. L’éditorial très pondéré d’Ian Reid (4) accompagnant l’article de Denis Black dans Lancet reprend les flops du passé, la calcitonine, le fluor, le ranélate de strontium, plus récemment l’odanacatib... Il pointe aussi le sujet de la tolérance de ces médicaments dont l’évaluation est également complexe : il a fallu 10 ans pour voir émerger les fractures fémorales atypiques chez les patients traités par bisphosphonates, plusieurs années pour que le DRESS syndrome s’impose comme un risque majeur avec le ranélate de strontium et encore plus pour que les événements thromboemboliques et cardiovasculaires ne l’enterrent définitivement…
(1) Eastell R et al. Surrogate threshold effect: identifying BMD change linked to different levels of fracture risk reduction. Study-level analysis from the FNIH Bone Quality Project. ASBMR Meeting 2020, abstract n°1068
(2) Black DM et al. Do Women with Lower BMD Benefit More from Anti-fracture Treatment? An Analysis Pooling Individual Patient Data from 134,000 Women in the FNIH-SABRE RCT Database. ASBMR Meeting 2020, abstract n°1069
(3) Black DM et al. Treatment-related changes in bone mineral density as a surrogate biomarker for fracture risk reduction: metaregression analyses of individual patient data from multiple randomised controlled trials. Lancet Diabetes Endocrinol 2020; 8: 672–82 (4) Reid IR. No more fracture trials in osteoporosis? Lancet Diabetes Endocrinol 2020; 8: 650-1
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?