Benzodiazépines et démences

Une prescription raisonnée

Publié le 15/12/2014
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Au cours des dernières années, les autorités sanitaires et les médias ont alerté les prescripteurs et les utilisateurs de benzodiazépines sur un risque accru de développer un syndrome démentiel lié à ces médicaments. Ceux-ci se retrouvent partagés entre l’intérêt thérapeutique indéniable de ces molécules et un risque non démontré mais potentiellement grave. Il est donc essentiel de comprendre s’il existe un réel lien causal et quels modes d’utilisation peuvent représenter un risque.

Dix études se sont intéressées à ce sujet, spécifiquement chez les sujets âgés, depuis 1998. Toutes, sauf une, retrouvent une association entre l’utilisation de benzodiazépines et un risque augmenté de présenter une démence ultérieurement. La principale difficulté méthodologique rencontrée par ces études réside dans la possibilité d’un biais dit protopathique. La démence est une maladie d’installation lente. Elle peut se manifester, avant tout déclin cognitif visible, par une insomnie, des symptômes anxieux ou dépressifs. Dans une hypothèse protopathique, la prescription de benzodiazépines pourrait venir en réponse à ces symptômes prodromiques de démence et constituer plutôt une conséquence de la maladie, non encore identifiée, qu’une cause.

Une autre difficulté concerne la confusion par indication : l’association entre benzodiazépines et démence ne serait pas avérée mais artificiellement induite par la dépression ou l’usage abusif d’alcool, par exemple, qui représenteraient à la fois une indication de la prescription de ces médicaments et un facteur de risque de démence. Des études récentes ont tenté de minimiser ces biais en explorant les utilisations de benzodiazépines ayant cessé plusieurs années avant le diagnostic de démence (1,2), en excluant les hypnotiques (3) ou les traitements initiés moins de cinq ans avant le diagnostic de démence (4,5), en prenant en compte les prodromes de la démence (2,4,5). Elles confirmaient que les utilisateurs de benzodiazépines présentaient un risque augmenté de démence. Cependant, plusieurs retrouvaient une relation de type dose-effet. Les patients traités moins de trois mois ne montraient aucune augmentation du risque de démence ; au-delà, plus le traitement se prolongeait, plus le risque s’élevait (5). Ce risque était plus marqué lors de l’utilisation de médicaments à demi-vie longue (supérieure à 20 heures) [5]. Il paraît de plus réversible, mais uniquement après des usages modérés (2).

*Université de Bordeaux, INSERM U657, Bordeaux

** Centre hospitalier Charles Perrens, Bordeaux

*** Centre hospitalier universitaire, Bordeaux

(1) Lagnaoui R, et al. Benzodiazepine use and risk of dementia: a nested case-control study. J Clin Epidemiology 2002;55:314-8

(2) Wu CS, Ting TT, Wang SC, Chang IS, Lin KM. Effect of benzodiazepine discontinuation on dementia risk. Am J Geriatr Psychiatry 2011;19:151-9

(3) Wu CS, et al. The association between dementia and long-term use of benzodiazepine in the elderly: nested case-control study using claims data. Am J Geriatr Psychiatry 2009;17:614-20

(4) Billioti de Gage S, et al. Benzodiazepine use and risk of dementia: prospective population based study. BMJ 2012;345:e6231

(5) Billioti de Gage S,et al. Benzodiazepine use and risk of Alzheimer’s disease: case-control study. BMJ 2014;349:g5205

Sophie Billioti de Gage*, Marie Tournier et Hélène Verdoux*,**, Bernard Bégaud et Antoine Pariente*,***

Source : Bilan spécialiste