Système immunitaire

Une inflammation qui déprime

Publié le 15/12/2014
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Chez les patients déprimés, de nombreux travaux ont montré une élévation des biomarqueurs sériques d’inflammation élevés, notamment les cytokines inflammatoires et les protéines de la phase aiguë de l’inflammation. Deux méta-analyses révèlent que l’élévation sérique d’IL-6, IL-1, TNFα et CRP est robustement associée à la dépression (1,2). En revanche, il existe une hétérogénéité importante concernant les données sur d’autres cytokines inflammatoires comme IFNγ, IL-10, IL-4, IL-8 ou IL-2. Quant à l’association de la dépression avec une élévation des polynucléaires neutrophiles, elle est vraisemblablement liée à la consommation de tabac. Dans diverses pathologies somatiques, il semble exister une corrélation entre l’intensité des symptômes dépressifs et de l’inflammation (3–5). Chez les patients déprimés sans comorbidité somatique, cette inflammation aurait tendance à se normaliser avec le traitement par antidépresseur et la rémission symptomatique (6).

À l’inverse, l’administration d’un stimulus pro-inflammatoire peut induire l’émergence de symptômes dépressifs. L’élévation des cytokines est responsable d’un comportement de maladie (sickness behavior) (7). Chez l’Homme, l’administration d’endotoxine ou la vaccination contre la typhoïde entraînent une modification du comportement avec apparition de symptômes dépressifs (8,9), possiblement via une activation du cortex cingulaire antérieur subgénual, région-clef dans la physiopathologie de la dépression. Lors d’un traitement par interféron-α (IFNα), 30 à 50 % des patients développent des symptômes dépressifs (10). Plusieurs études suggèrent également qu’un traitement inhibant l’inflammation pourrait potentialiser l’efficacité d’un traitement antidépresseur (11,12), voire avoir une action antidépressive en monothérapie (13). De même, un essai thérapeutique récent suggère qu’un antagoniste du TNFα pourrait être efficace chez les patients présentant une dépression résistante avec un syndrome inflammatoire biologique (14).

Les mécanismes par lesquels l’inflammation et la dépression sont reliées restent à éclaircir. Des taux élevés de cytokines pro-inflammatoires circulantes sont associés à une expression accrue de l’enzyme dégradant le tryptophane en kinurénine (indoleamine 2,3-dioxygénase, IDO). Le tryptophane serait alors préférentiellement dégradé en kinurénine par l’IDO, aboutissant à un défaut de synthèse de sérotonine (15). De plus, certains des catabolites du tryptophane, issus de sa dégradation par l’IDO et la tryptophane 2,3-dioxygénase (TDO) possèdent des propriétés neurotoxiques. Cette voie métabolique est également activée par les glucocorticoïdes qui stimulent la TDO. Enfin, il faut noter que les astrocytes, la microglie, et même les neurones, sont susceptibles de produire des cytokines pro-inflammatoires au niveau cérébral. De façon plus globale, certains facteurs de risque psychosociaux de la dépression, tels que le rejet social, pourraient aboutir, via une activation de l’axe adrénocorticotrope à une transcription accrue des protéines de l’inflammation (16).

Université Paris Descartes, Paris. AP-HP, hôpitaux universitaires Paris-Ouest, service de psychiatrie de l’adulte et du sujet âgé, Paris et Inserm, U894, centre psychiatrie et neurosciences, Paris

(1) Dowlati Y, et al. A meta-analysis of cytokines in major depression. Biol Psychiatry 2010;67(5):446?57

(2) Howren MB, et al. Associations of depression with C-reactive protein, IL-1, and IL-6: a meta-analysis Psychosom Med 2009;71(2):171?86

(3) Motivala SJ, et al. Inflammatory markers and sleep disturbance in major depression. Psychosom Med 2005;67(2):187?94

(4) Meyers C et al. Cognitive impairment, fatigue, and cytokine levels in patients with acute myelogenous leukemia or myelodysplastic syndrome. Cancer 2005;104(4):788?93

(5) Bower JE. Cancer-related fatigue: links with inflammation in cancer patients and survivors. Brain Behav Immun 2007;21(7):863?71

(6) Miller AH, et al. Inflammation and its discontents: the role of cytokines in the pathophysiology of major depression. Biol Psychiatry 2009;65(9):732?41

(7) Dantzer R. Cytokine, sickness behavior, and depression. Neurol Clin 2006;24(3):441?60

(8) Harrison N a, Brydon L, Walker C, Gray M a, Steptoe A, Dolan RJ, et al. Neural origins of human sickness in interoceptive responses to inflammation. Biol Psychiatry 2009;66(5):415?22.

(9) Eisenberger NNI, et al. Inflammation and social experience: an inflammatory challenge induces feelings of social disconnection in addition to depressed mood. Brain Behav Immun 2010;24(4):558?63

(10) Raison C, et al. Neuropsychiatric adverse effects of interferon-alpha: recognition and management. CNS Drugs 2005;19(2):105?23

(11) Müller N, et al. The cyclooxygenase-2 inhibitor celecoxib has therapeutic effects in major depression: results of a double-blind, randomized, placebo controlled, add-on pilot study to reboxetine. Mol Psychiatry 2006;11(7):680?4

(12) Mendlewicz J, et al. Shortened onset of action of antidepressants in major depression using acetylsalicylic acid augmentation: a pilot open-label study. Int Clin Psychopharmacol 2006;21(4):227?31

(13) Tyring S, et al. Etanercept and clinical outcomes, fatigue, and depression in psoriasis: double-blind placebo-controlled randomised phase III trial. Lancet 2006;367(9504):29?35

(14) Raison CL, et al. A Randomized Controlled Trial of the Tumor Necrosis Factor Antagonist Infliximab for Treatment-Resistant Depression: The Role of Baseline Inflammatory Biomarkers. Arch Gen Psychiatry 2013;70(1):31?41

(15) Dantzer R, et al. Inflammation-associated depression: from serotonin to kynurenine. Psychoneuroendocrinology 2011;36(3):426?36

(16) Irwin MR, et al. Reciprocal regulation of the neural and innate immune systems. Nat Rev Immunol 2011;11(9):625?32

Cédric Lemogne

Source : Bilan spécialiste