Les salles de shoot 

Un outil de réduction des risques

Publié le 15/12/2014
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Les salles de « consommation à moindre risque » seront-elles un jour instaurées en France ? Il est pour l’instant difficile de répondre avec certitude, tant le projet suscite des débats parfois houleux. « Ce qu’il faudrait, c’est pouvoir sortir d’un débat à la fois très idéologique et largement fondée sur l’ignorance. Et il faudrait pouvoir tirer des enseignements des expériences réalisées dans les pays étrangers », souligne la docteur Sylvie Wieviorka, psychiatre et ancienne conseillère à la mairie de Paris.

Très active sur ce dossier, la ville de Paris avait prévu, avec le soutien du ministère de la Santé, d’ouvrir fin 2013 une salle de consommation à moindre risque dans un quartier du nord-est de la capitale. Mais ce projet a été mis entre parenthèses après un avis négatif du Conseil d’État. Selon cette institution, la mise en place de ce type de structure contrevient à la loi de 1970 qui prévoit une prohibition de la consommation de drogue. C’est la raison pour laquelle Mme Marisol Touraine a repris le flambeau avec son projet de loi santé présenté en conseil des ministres à la mi-octobre. Ce texte, qui doit être discuté au Parlement début janvier, prévoit une expérimentation pendant six ans d’espaces « supervisés par des professionnels » assurant aux usagers de drogues injectables de bonnes conditions d’hygiène ainsi que la délivrance de conseils et d’aides spécifiques.

Pour le Dr Wieviorka, il existe une « documentation conséquente » au niveau international, prouvant l’intérêt de ces structures. « Plusieurs études ont montré que ces salles de consommation entraînaient une réduction des risques infectieux, une baisse du nombre d’overdoses ainsi qu’un moindre recours aux urgences hospitalières », indique-t-elle. Une position partagée par le ministère de la Santé. « Des salles de consommation à moindre risque existent déjà chez nos voisins européens (Allemagne, Luxembourg, Espagne, Suisse) et leur bilan est positif pour protéger les usagers de drogue par voie intraveineuse des risques sanitaires de l’injection », souligne le ministère en faisant référence à une « expertise indépendante » de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Le Dr Wieviorka insiste sur le fait que ces salles visent à accueillir un public bien spécifique. « L’objectif est de recevoir des personnes très désocialisées et engagées de longue date dans la toxicomanie, indique-t-elle. Il n’est pas sérieux de dire que ces salles vont inciter les gens à se droguer. Cela me rappelle tous les débats qui ont eu lieu, il y a quelques années, autour de certains outils de réduction de risques. Notamment en 1987 quand Mme Michèle Barzach, alors ministre de la Santé a pris des mesures pour favoriser l’accès à des seringues propres. Déjà à l’époque, certains disaient que cela allait favoriser l’usage des drogues injectables et entraîner une explosion de la consommation. Or, on a pu constater que ce phénomène ne s’est jamais produit. Au contraire, les programmes d’échanges de seringues se sont révélés être un outil très performant de réduction de risques. C’est méconnaître la réalité de la toxicomanie que de penser qu’une personne va se mettre à s’injecter des drogues, tout simplement parce qu’elle peut avoir un accès facile aux seringues ou parce qu’une salle de consommation à moindre risque va s’ouvrir dans sa ville ».

Pour autant, le Dr Wieviorka précise que la vocation de ces salles n’est pas non plus de maintenir éternellement les personnes dans leur consommation. « Le premier objectif est de leur proposer un cadre sanitaire adapté. Mais le but est aussi de les mettre en contact avec des équipes médicosociales pour les aider à sortir de la drogue ».

D’après un entretien avec le docteur Sylvie Wieviorka, psychiatre, ancienne directrice du centre Pierre Nicole et ancienne conseillère à la mairie de Paris

Antoine Dalat

Source : Bilan spécialiste