Nouveau témoignage de la dégradation de la santé mentale des jeunes : les hospitalisations pour tentative de suicide ou automutilation ont progressé « de façon brutale et inédite » chez les adolescentes et les jeunes femmes en 2020 et 2021, selon une étude publiée ce 16 mai. Un phénomène « genré » qui « inquiète » la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) à l’origine de ce travail.
En 2022, près de 85 000 personnes ont été hospitalisées au moins une fois, en médecine et chirurgie (MCO) ou en psychiatrie, après un geste auto-infligé (tentative de suicide, scarifications, brûlures, coups contre un mur…). Près de deux sur trois (64 %) étaient des femmes. Soit un taux de 154 patientes pour 100 000 habitants, versus 93 hommes pour 100 000.
Plus de 10 000 patientes en psychiatrie en 2022
Ces chiffres s’inscrivent dans une tendance à la hausse globale sur l’ensemble de la période étudiée, de 2007 à 2022, avec des plateaux. Ainsi les hospitalisations pour geste auto-infligé ont augmenté chez les hommes comme les femmes entre 2009 et 2011, avant de baisser jusqu’en 2013, année à partir de laquelle commence une période stable jusqu’en 2019, avec autour de 52 000 femmes et 33 000 hommes hospitalisés pour auto-agression. L’année du Covid, 2020, marque un coup d’arrêt, avec une baisse des hospitalisations, de 8 % chez les hommes et de 11 % chez les femmes. Puis s’observe une augmentation rapide et forte des hospitalisations chez les femmes à partir de 2021, à des niveaux supérieures à ceux de l’avant pandémie, tandis qu’elles restent stables au niveau de 2020 chez les hommes. En psychiatrie, en particulier, le nombre annuel de femmes hospitalisées est stable entre 2012 et 2018 autour de 6 600 (versus 4 400 chez les hommes) puis progresse jusqu’à dépasser plus de 10 000 patientes en 2022. « Il s’agit là de niveaux inédits, dans un contexte où le nombre total de patients hospitalisés en psychiatrie a plutôt tendance à diminuer », lit-on.
Par ailleurs, existe une véritable inquiétude concernant les adolescentes et jeunes femmes, la crise sanitaire ayant probablement accéléré des tendances préexistantes. En 2022, les taux annuels d’hospitalisation à la suite d’un acte auto-infligé s’élèvent à 527 pour 100 000 chez les femmes de 15 à 19 ans (versus 33 chez les garçons de 10 à 14 ans) en MCO et à 116 en psychiatrie (versus 3). Les augmentations sont brutales en 2021 et 2022, par rapport à la moyenne de 2010 à 2019 : + 71 % chez les filles de 10 à 14 ans en MCO (+ 246 % en psychiatrie), + 44 % chez les 15-19 ans (+163 %) et + 21 % chez les 21-24 ans (+106 %). Ces tendances contrastent avec une diminution chez les adultes (tous sexes confondus) de 30 à 50 ans – un phénomène générationnel – et une stabilisation des hospitalisations en MCO des adolescents et jeunes hommes, à des niveaux bien moindres.
Le caractère genré du phénomène pourrait s’expliquer par une différence d’expression du mal-être entre les femmes (aux comportements plus « intériorisés » : dépressions, angoisses) et les hommes (addictions, violence). Mais l’hypothèse ne résiste guère à l’analyse des hospitalisations pour intoxications alcooliques, addictions, ou violences, les premières régressant, tandis que les dernières, certes augmentent, mais dans toutes les classes d’âges. « Il est possible que la santé mentale des garçons ne se soit pas autant dégradée que celle des filles et des femmes du même âge », avance la Drees, reconnaissant que des travaux ultérieurs doivent éclairer cette absence de pendant masculin constaté dans la dégradation de la santé mentale.
Tout le territoire et tous les milieux concernés
La hausse brutale des hospitalisations des adolescents et jeunes femmes depuis 2020 concerne l’ensemble du territoire, avec des variations (de + 16 % à La Réunion en 2021-2022 par rapport à 2012-2019, à + 80 % en Occitanie), tous les types de communes (rurales, villes-centres, banlieues) et un peu plus les communes les plus favorisées.
De même, ces hausses concernent tous les grands groupes de mode opératoire : les intoxications médicamenteuses volontaires (depuis 2014, elles représentent les trois quarts des motifs de ces hospitalisations, et augmentent de 40 % ces deux dernières années), les lésions obtenues avec un objet tranchant (+ 64 %) et les gestes violents (+ 36 %).
Plus globalement, les hospitalisations pour geste auto-infligé sont plus fréquentes dans les communes défavorisées et touchent davantage les personnes bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (CSS) (qui comptent pour un quart des hospitalisés) ou défavorisées financièrement. Les plus forts taux se retrouvent en Bretagne, sur le littoral ouest, et dans les Hauts-de-France, alors qu’ils sont bien plus faibles au sud de la Garonne, sur le littoral méditerranéen, le bassin parisien, en Corse et en outre-mer. Des différences qui reflètent « la diversité territoriale des rapports culturels au geste suicidaire, influencé par la religiosité, les structures familiales, l’emploi ou encore l’accès aux soins psychologiques », analyse la Drees.
Un conseil national de la refondation (CNR) sur la santé mentale, promis par Emmanuel Macron, aura lieu en juin et juillet. L’attention se portera plus particulièrement sur la situation des jeunes, dont plusieurs études ont mis en lumière la détérioration, a indiqué début mai le ministère délégué à la Santé. Une ligne d’écoute (0 800 235 236) dédiée aux jeunes est accessible 7 jours sur 7 de 9 heures à 23 heures (service et appel anonyme et gratuit). Le 3114, numéro national de prévention du suicide, est aussi accessible 24 heures/24 et 7 J/7.
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