La représentation collective du malade mental et plus particulièrement de celle du schizophrène est celle de la dangerosité. Ainsi, en 2002, dans une enquête réalisée par l’Institut Lilly et l’IPSOS sur l’image de la schizophrénie et des patients auprès du grand public, 48 % des Français interrogés pensent que les schizophrènes sont dangereux pour les autres. Et dans l’enquête de 2006, « Santé mentale en population générale : images et réalité », le meurtre et le viol sont associés, pour une majorité de personnes, au malade mental.
Depuis les années 1990, des études épidémiologiques rigoureuses (1,2,3) permettent de dire qu’il existe un lien statistique entre violence et troubles mentaux graves (schizophrénie, trouble schizo-affectif, troubles délirants et troubles bipolaires, selon la définition d’Hodgins et al, [1]). Pour Dubreucq et al., les personnes atteintes d’un trouble mental grave réalisent près de 4 fois plus d’agression physique que dans la population générale mais le nombre absolu des agressions commises par les patients reste faible (4). De même, l’essentiel des homicides n’est pas dû aux malades mentaux graves : 80 à 85 % des auteurs d’homicides en sont indemnes (5).
On peut dégager de ces grandes études épidémiologiques différents facteurs de risque de passage à l’acte.
• Les éléments d’ordre sociodémographiques
- L’âge : les adultes jeunes, avant 40 ans, apparaissent les plus à risque de violence.
- Le sexe : le sexe masculin est également un facteur de risque important puisque les hommes sont responsables d’environ 90 % de la violence sur autrui. Mais, la maladie mentale et particulièrement la schizophrénie augmentent de façon plus importante le risque de violence chez les femmes (1). Ce qui laissent penser certains auteurs comme Hodgins ou Monahan que lorsqu’il s’agit de malades mentaux, le sexe ne peut plus être retenu comme un facteur discriminant.
- L’état matrimonial : les célibataires représentent un risque plus élevé que les gens mariés ou vivant en couple peut-être par l’intermédiaire de l’isolement social, du faible support d’étayage.
- Le statut socio-économique : la faiblesse du statut socio-économique est identifiée comme un facteur de risque dans certaines études.
- La vie urbaine et une récente migration apparaissent également des facteurs de risque de violence chez les patients psychotiques.
• Les éléments biographiques
Ces facteurs que l’on peut qualifier de statiques sont particulièrement importants à recueillir du fait de leur poids dans l’évaluation du risque de passage à l’acte :
- L’exposition à un environnement familial perturbé, à des modèles violents et à des mauvais traitements dans l’enfance.
- Tout antécédent délictuel ou de violence, celle-ci étant considérée comme le meilleur facteur prédictif de violence, en population générale comme dans la population souffrant de troubles mentaux (4).
• Les facteurs d’intoxication par l’alcool et les drogues autres que la nicotine
Les données de la littérature et notamment les travaux de Fazel et al, en 2009, indiquent qu’il s’agit du facteur de risque de passage à l’acte agressif le plus important dans la population générale, et pour la population des malades mentaux graves.
• Les facteurs liés aux modalités des soins
Certains auteurs ont avancé que l’augmentation des crimes parmi les personnes souffrant d’une maladie mentale sévère, ces dernières décennies, serait le résultat de la désinstitutionalisation des soins. De grandes études australiennes, comme celles de Mullen et Wallace, en 2000 et 2004, s’opposent à cette théorie en montrant dans leurs études, que, si le temps d’hospitalisation global des patients schizophrènes a diminué, celle des premières hospitalisations, concernant donc des sujets jeunes, plus à risque de passer à l’acte, reste similaire. Pour eux, cette augmentation rend compte de facteurs psychosociaux plus complexes que la modification de l’offre de soins.
L’observance médicamenteuse joue un rôle central dans la diminution de la dangerosité chez les patients, notamment souffrant de schizophrénie. De nombreux travaux montrent que les patients commettant des actes de violence se trouvent fréquemment en rupture de soins, et particulièrement dans les semaines qui suivent une sortie de l’hôpital.
L’établissement d’une alliance thérapeutique de qualité semble également un élément protecteur.
Enfin, certains auteurs soulignent l’importance de la capacité du patient à demander de l’aide, parfois de façon détournée, et celle des équipes soignantes à se montrer disponibles et proposer des mesures thérapeutiques appropriées.
• Les facteurs liés au milieu de vie, à l’environnement
Pour les patients souffrant de troubles psychotiques, la question de l’influence de l’environnement dans la genèse des comportements violents a été étudiée mais est sujette à controverses. Les Australiens Mullen et Wallace, en 2000 et 2004, retrouvent que, sur 25 ans, l’augmentation de la violence physique des patients schizophrènes est proportionnelle à l’augmentation de la violence au sein de la population générale. Large et al, en 2009, retrouvent également une association entre le taux d’homicide commis par les patients psychotiques et le taux des autres homicides, alors que d’autres auteurs comme Volavka, en 1997, et Fazel, en 2009, n’arrivent pas à établir de liens entre la violence des patients souffrant d’un trouble mental sévère et le taux de criminalité des pays ou la facilité d’accès aux armes à feu.
Dans une étude réalisée dans dix villes françaises avec des taux de violence à la personne fortement différents, nous avons retrouvé une forte association entre les comportements violents des patients psychotiques hospitalisés et le taux de violence à la personne de leur lieu de résidence. Cette association pourrait être expliquée par des phénomènes de victimation ou d’autres stress environnementaux subis par les patients dans les villes, agissant comme des facteurs de décompensation de leur psychose.
Un risque augmenté
En conclusion, les personnes présentant une maladie mentale sévère ont un risque augmenté de passage à l’acte physique par rapport à la population générale, même si le nombre absolu des agressions physiques commises par les malades reste faible. Il en est de même pour les homicides. Les facteurs de risque de violence des malades en population générale sont globalement les mêmes que pour le reste de la population (âge jeune, faible niveau socio-économique, antécédents de violence). L’abus/dépendance aux substances autres que la nicotine augmente considérablement le risque de violence. En revanche, les facteurs environnementaux sont peu étudiés ou soumis à controverse et leur rôle demande à être précisé dans de plus vastes cohortes.
*Praticien hospitalier, service hospitalo-universitaire, centre hospitalier du Rouvray, CHU de Rouen
**Professeur des universités, praticien hospitalier, service hospitalo-universitaire, centre hospitalier du Rouvray, CHU de Rouen
(1) Hodgins S, et al. Mental disorder and crime: evidence from a Danish birth cohort. Archives of General Psychiatry 1996;53:489-96
(2) Lindqvist P, et al. Schizophrenia and crime: a longitudinal follow-up of 664 schizophrenics in Stockholm. British Journal of Psychiatry 1990;157:345-5
(3) Swanson JW, et al. Violence and psychiatric disorder in the community: evidence from the epidemiologic catchment area surveys. Hospital and Community Psychiatry 1990;42:761-70
(4) Dubreucq JL, et al. Risk of violence and serious mental disorders. Annales Medico -Psychologiques 2005; 163:852-65
(5) Richard-Devantoy S, et al. Risque d’homicide et troubles mentaux graves: revue critique de la littérature. L’Encéphale 2009;35:521-30
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