LE QUOTIDIEN - A quoi sert le DSM ?
Pr BERNARD GRANGER - A fournir une langue commune, notamment dans le cadre des travaux de recherche et des échanges internationaux.
Le DSM-IV et le DSM-5 ne sont que des modifications mineures du DSM-III (sorti en 1980), qui avait pour mission d’homogénéiser les pratiques diagnostiques et le vocabulaire utilisé par les psychiatres, quels que soient leur nationalité et leur champ théorique. Son succès n’a pas pour autant aboli l’usage du vocabulaire antérieur, du moins en France, où nous disposons d’une grande liberté à faire usage des classifications de notre choix. Nous n’avons pas la nécessité d’indiquer un diagnostic sur la feuille de soins. Dans les observations, certificats médicaux, demandes d’allocations, expertises, nous sommes libres d’utiliser le vocabulaire qui nous paraît le plus approprié. Ce n’est pas le cas aux États-Unis, où le DSM sert de fondement à la psychiatrie dans tous ses aspects cliniques, sociaux et médico-légaux.
Peut-il devenir un outil de prévention ?
Le DSM peut faire office de check-list de symptômes et aider à poser un diagnostic sur des critères relativement objectifs et consensuels, mais ce n’est pas un outil de prévention.
Dans le DSM-5, on a voulu introduire le diagnostic de sujet à risque de psychose. Finalement, cette catégorie n’a pas été retenue du fait des dérives potentielles. Comment avoir la certitude qu’un individu prétendu à risque va développer une psychose ? Avoir un ou plusieurs facteurs de risque ne veut pas dire qu’on va développer la maladie, encore moins qu’il faille initier un traitement médicamenteux. Faire de la médecine préventive en psychiatrie, comme on en fait pour les maladies cardio-vasculaires, est un exercice difficile, car les déterminants des troubles mentaux sont moins bien caractérisés et beaucoup plus complexes.
Dans le DSM, on parle de trouble. Qui dit trouble dit maladie mentale ?
Le terme de trouble n’a pas été choisi au hasard. Il a été préféré au terme de maladie, lequel implique une physiopathologie connue et des éléments objectifs solides. En psychiatrie, les connaissances physiopathologiques ou psychopathologiques sont trop fragiles et limitées pour parler de maladie. Au départ, l’une des ambitions des concepteurs du DSM-5 était de faire reposer la classification sur des bases neurobiologiques. Mais ils ont dû renoncer, tout simplement parce que ce n’est pas possible. Les travaux de psychiatrie biologique ne permettent pas d’asseoir une classification de façon solide.
On dit que le DSM-5 contient une centaine de troubles en plus que la version précédente...
C’est ce que racontent les gens de Stop DSM. En réalité, le DSM-5 compte un nombre limité de changements. Il y a une certaine prudence à inclure des nouvelles catégories et non pas un laxisme comme voudraient le faire croire ses détracteurs. Les nouvelles catégories du DSM-5 se comptent sur les doigts des deux mains. Parmi elles figure l’accumulation compulsive (Hoarding Disorder), trouble connu depuis longtemps sous le nom de syndrome de Diogène. Le DSM-5 n’a rien inventé. Cependant l’apparition de ce trouble au sein du manuel conduira peut-être à un meilleur repérage.
Le DSM-5 favorise-t-il le sur-diagnostic ?
Il y a effectivement un mouvement qui tend à étendre le champ de la pathologie psychiatrique à des troubles proches de la normalité. Le sur-diagnostic est un risque, il faut être vigilant. Par exemple, la possibilité de diagnostiquer une dépression au-delà de deux semaines de deuil me paraît dangereux. Car le deuil est une réaction lente et complexe et la différence avec un état dépressif majeur n’est pas si aisée à déterminer. À l’inverse, c’est une caricature de dire que la gourmandise, sous couvert du trouble « défonces alimentaires » (Binge eating disorder), est mise au rang des troubles mentaux. Cette perturbation du comportement alimentaire peut être source d’une véritable souffrance et nécessiter des soins spécialisés. Porter un diagnostic psychiatrique est un exercice subtil qui ne s’apprend pas en quelques heures de cours...
Faut-il craindre une dérive thérapeutique du DSM-5?
Au États-Unis comme en France, ce sont les médecins généralistes qui prescrivent majoritairement les psychotropes, à 80 %. Si la formation n’est pas suffisante ou si il y a pression pharmaceutique, le risque est de traiter des cas mineurs qui peuvent guérir sans médicaments ou grâce à une psychothérapie. Le DSM facilite le recours au médicament car il repose sur un modèle très médical : symptômes, diagnostic, traitement. Les AMM des médicaments sont le plus souvent libellées selon les diagnostics DSM. Le traitement médicamenteux est souvent la solution de facilité, plus aisé à mettre en œuvre qu’une psychothérapie.
Comment user au mieux du DSM-5 ?
Il ne faut pas le suivre aveuglément ni le considérer comme la pierre angulaire de l’édifice psychiatrique. Le DSM est un instrument parmi d’autres, qui sert utilement de cadre diagnostique mais ne se suffit pas à lui-même. Il donne une image figée des troubles, dénuée de leur contexte individuel, relationnel et environnemental. Le paysage des maladies mentales ne peut se limiter aux balises posées par le DSM. Toutes les souffrances psychiques ne rentrent pas dans des cases ! Le simple fait que le DSM soit soumis à des révisions périodiques montre bien la relative souplesse avec lequel il faut l’utiliser. D’autre part, de nombreuses notions ne sont pas exposées dans le DSM-5. La description clinique y est plutôt sommaire et la thérapeutique n’y est pas abordée. Ce n’est pas un traité de psychiatrie.
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