Il n'y a pas lieu de réviser la loi de 2008 et en particulier, l'article 122-1 du Code pénal qui établit l'irresponsabilité pénale en cas d'abolition du discernement liée à un trouble mental : telle est l'une des conclusions de la mission confiée en février 2020 par Nicole Belloubet, alors Garde des Sceaux, à Dominique Raimbourg et Philippe Houillon, deux avocats et anciens présidents de la Commission des Lois de l'Assemblée nationale.
Alors que le rapport était achevé en février 2021, « il avait été jugé préférable d’attendre l’aboutissement du pourvoi formé devant la Cour de cassation dans l’affaire Sarah Halimi avant de le rendre public pour ne pas interférer avec les débats judiciaires alors en cours », explicite Éric Dupont-Moretti dans un communiqué ce 25 avril. La mission avait en effet été lancée après la décision de la Cour d'appel de Paris du 19 décembre 2019 de statuer en faveur de l'irresponsabilité pénale de Kobili Traoré, qui présentait, au moment des faits, une bouffée délirante aiguë, selon les experts psychiatres. En revanche, le caractère antisémite de son crime par défenestration a été reconnu. Plusieurs parlementaires avaient déposé des propositions de loi visant à réviser le dispositif d'irresponsabilité pénale mais Nicole Belloubet souhaitait l'évaluer avant de légiférer.
Le 14 avril dernier, la Cour de cassation, qui se prononce sur la forme et non sur le fond, a confirmé la décision de la cour d'appel de Paris. La haute juridiction devait répondre à la question suivante : lorsqu’elle est à l’origine d’un trouble psychique, la consommation de produits stupéfiants (en l'occurrence du cannabis) constitue-t-elle une faute qui exclut l’irresponsabilité pénale ? Non, avait-elle répondu, précisant que « la loi sur l’irresponsabilité pénale ne distingue pas selon l’origine du trouble mental qui a fait perdre à l’auteur la conscience de ses actes. Or, le juge ne peut distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer ».
Conserver l'article 122-1 du Code pénal
Faut-il revoir l'article 122-1 du Code pénal qui stipule que la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, n’est pas pénalement responsable − un principe acquis depuis 1810, et déjà présent dans le droit romain, et que l'on retrouve dans la quasi-totalité des régimes démocratiques ?
Non, répond donc la mission Houillon-Raimbourg, composée en plus de trois magistrats, deux psychiatres experts et un avocat. L'intention coupable, qui constitue l'infraction, ne peut, juridiquement parlant (et les auteurs insistent sur la cohérence de tout un système de normes et de principes), cohabiter avec l'abolition du discernement au moment de l'acte, d'une part. Et d'autre part, l'intention coupable initiale, dans l'hypothèse d'une absorption volontaire de toxiques avant un crime, ne peut se substituer à l'intention au moment du crime, qui seule compte pour qualifier une infraction.
Toujours selon la mission, le corpus juridique actuel est « suffisamment riche pour permettre d'appréhender avec le plus de justesse possible la complexité des situations humaines et leur qualification pénale », lit-on. Et de saluer l'absence de délimitation normative entre abolition et altération du discernement.
Les auteurs mettent en garde contre des intuitions qui voudraient que la prise de toxiques soit toujours une circonstance aggravante, comme dans les infractions involontaires : « cela ne recouvre pas les mêmes réalités juridiques », lit-on.
Ils soulignent en outre qu'« au regard de la très forte imbrication entre les troubles psychiques avérés et les recours à des substances psychoactives, l'exclusion du bénéfice de l'article 122-1 pour les actes commis suite à la consommation de toxiques (ou après arrêt d'un traitement psychotrope sans autorisation médicale) serait une disposition dont la radicalité aggraverait le risque de pénaliser la maladie mentale ».
Réformer l'expertise psychiatrique
Au-delà de la conservation de l'article 122-1 du Code pénal, la mission Houillon-Raimbourg considère que la loi du 25 février 2008 est « un texte d'équilibre qu'il n'y a pas lieu de réformer », même si des améliorations restent souhaitables. Avant 2008, l'irresponsabilité pénale était simplement constatée par le juge d'instruction qui prononçait une ordonnance de non-lieu − les victimes avaient l'impression d'être privées de procès. Depuis, la responsabilité pénale de l'auteur est débattue publiquement et contradictoirement et donne lieu, le cas échéant, à une déclaration d'irresponsabilité pénale. Les juges peuvent aussi se prononcer sur la réalité des faits délictueux, sur des mesures de sûreté pour protéger les victimes, et même sur les dommages-intérêts.
Plus fondamentalement, la mission appelle à une refonte de l'expertise psychiatrique, cardinale dans le dispositif, puisque c'est sur l'avis technique des experts psychiatres que les juges statuent sur l'irresponsabilité des auteurs. Selon eux, il faut améliorer la qualité des expertises (trop souvent divergentes) grâce à une meilleure formation des experts. Il faut aussi veiller à ce qu'ils soient en nombre suffisant, notamment en revalorisant leurs tarifs réglementaires et en harmonisant leur statut. Enfin, les missions des expertises devraient être actualisées et harmonisées. Et d'inviter in fine à organiser une conférence de consensus pour (re) définir les bonnes pratiques.
Un projet de loi attendu fin mai
Quelles suites le gouvernement donnera-t-il à ce rapport ? Il présentera un projet de loi fin mai en Conseil des ministres sur l'irresponsabilité pénale, dans la perspective d'une adoption par le Parlement à l'été.
Néanmoins, le gouvernement, sous l'impulsion d'Emmanuel Macron, pourrait passer outre le rapport de la mission Houillon-Raimbourg à en croire le communiqué du ministère de la Justice : « La France ne jugera jamais les fous. Pour autant il faut tirer les conséquences de la décision de la Cour de cassation qui constate l’absence de possibilité offerte par le droit actuel de tenir compte de la prise volontaire de substances toxiques par un individu conduisant à l’abolition de son discernement. »
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024