Moins l’on est formé aux risques d’être poursuivi en justice dans le cadre de son activité professionnelle, plus la crainte de ces poursuites induit les décisions cliniques. C’est l’enseignement principal auquel conclut l’étude menée par l’association nationale des internes en psychiatrie et présentée lors du congrès de psychiatrie à Nantes
Le chiffre est très élevé et confirmerait que les internes en psychiatrie aussi se sont laissés contaminer par l’idée que la société française s’américanise et devient de plus en plus procédurière. « 85 % des étudiants qui ont répondu à l’enquête 2014 qui portait sur les internes et la responsabilité médicale disent redouter un procès pendant leur internat ou leur carrière », a souligné Alexis Petit, au nom de l’AFFEP (1).
Le risque médicolégal infuerait sur la décision
Sentiment fondé ou non, cette crainte a déjà des répercussions, selon ces étudiants. Presque 1 sur 4 dit qu’elle entre en considération dans le choix du mode d’exercice. Surtout, 9 sur 10 estiment que le risque médico-légal influe leurs décisions cliniques. 35 % tracent systématiquement l’information donnée au patient dans le dossier médical et 31 % demandent l’avis d’un médecin senior pour toute décision importante.
Resterait à préciser ces informations. Mais, force est de constater qu’il existe bien une peur devant la judiciarisation croissante de la société. « Tant pis si l’on constate que la peur du procès est en décalage de ces poursuites », souligne Alexis Petit.
Tout cela serait alors affaire d’un climat social rongé par la recherche du risque zéro et du coupable… Même s’il doit être psychiatre. « En m’intéressant à l’affaire qui a visé notre consoeur Danièle Canarelli (2), j’ai été sidéré de lire les déclarations qu’a pu faire un avocat et qui donne le sentiment que la psychiatre travaillait, toute petite déjà, à l’homicide commis par son patient en 2004 », a ainsi raconté Daniel Zagury.
Devant l’évolution des mentalités et une tendance à la « sacralisation des victimes », le Chef de service au Centre psychiatrique du Bois-de-Bondy a appelé les internes à « être courageux » et à « résister aux instrumentalisations ». Exemple parmi d’autres, la demande d’expertise en garde à vue. « Vous subissez une réelle pression pour effectuer une expertise… alors que la conférence de consensus de 2007 dit bien que ce ne peut être qu’un examen. Je vous mets formellement en garde et d’écrire qu’il ne s’agit pas d’une expertise. Notre déontologie ne consiste pas à servir le parquet. »
« Nous n’avons pas vocation à être des « risk manager », doués d’une toute-puissance qui nous permette de dire, comme c’est le cas dorénavant, qui est un pervers narcissique, a estimé le Pr Daniel Zagury. Pour cela, il faut rester modeste en se basant sur le goût de la clinique et ne pas être isolé pour pouvoir résister à cette pression sociale, amplifiée malheureusement par certains propos de responsables politiques. »
D’autant que, Didier Charles, juriste chez l’assureur MACSF, l’a mis en évidence, « les mises en cause de psychiatres sont moins nombreuses que chez les médecins toutes spécialités confondues, qui, elles-mêmes, sont relativement stables depuis 15 ans ».
La place de chacun
Pour cet expert en responsabilité médicale, le « défi » à relever consiste plutôt à bien identifier les conséquences potentielles de la pratique d’un interne en médecine en lien avec son statut propre. « L’interne est à la fois un étudiant, un interne et un futur praticien, explique Didier Charles. Le fait d’être en formation spécialisée et également un agent public, agissant à la fois « par délégation » -ce qui induit une relative autonomie- et « sous la responsabilité de » -on vous tient quasiment la main- implique des niveaux de responsabilité différents. Les internes sont supposés avoir la validation d’un médecin senior. Il faut donc être vigilant sur le plan de la traçabilité et surtout sur l’existence d’échanges entre interne et médecin. »
La dernière mise en garde concerne le « filtre de lecture » par lequel un psychiatre -donc un interne- évaluerait une situation donnée. Par exemple, une douleur somatique peut être minimisée, voire non prise en compte, par le fait que le patient est étiqueté « malade psychiatrique ». « Les familles feront bien le lien si cela arrive », précise le juriste.
(1) Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie.
(2) Lire à ce sujet notre édition du 10 février 2014.
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