Nicole GARRET-GLOANEC (1) et Anne-Sophie PERNEL (2)
LE DSM s’est construit pour améliorer l’observation des signes cliniques afin d’obtenir des diagnostics plus fiables à un moment où la psychiatrie américaine était dominée par la psychanalyse. Il a dépassé ses objectifs puisqu’il n’est plus aucunement question de psychopathologie et que cette dernière a disparu de la pensée psychiatrique dominante.
La lecture psychiatrique se fait, avec le DSM, à travers le prisme du comportement, dont le repérage et son caractère objectif rendent l’accès plus simple à la maladie. Son assemblage en syndrome est le résultat d’addition de traits comportementaux (critères) estimés non conformes (statistiquement) à la moyenne. Le DSM 5 reste dans cette démarche en la renforçant par élargissement du périmètre de certains troubles.
Cette catégorisation construit des entités qui se veulent exclusives les unes des autres. Le DSM est une classification, à ambition scientifique forte, dans laquelle le diagnostic psychiatrique devrait reposer sur des preuves. Des symptômes liés au développement de l’enfant vont ainsi être institués à hauteur d’un trouble. Ils perdent leur appartenance et enracinement pluridimensionnels. Pourtant dans la clinique, ils appartiennent à diverses pathologies, soit dans leur principe morbide, soit comme mécanisme de défense – l’hyperactivité avec trouble de l’attention se retrouve, dans la classification des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, aussi bien dans des manifestations dépressives chez l’enfant qu’associée à des difficultés d’apprentissage, ou qu’à des manifestations comportementales ou émotionnelles. L’exclusivité des diagnostics dans le DSM oblige à introduire fréquemment le concept de comorbidité, une pathologie pouvant cohabiter avec une autre. Elle amène ainsi à créer des entités qui seraient pures (troubles des apprentissages, par exemple), qui constituent le noyau du trouble ayant la plus grande valeur neurobiologique, et qui sert de modèle autant pour les traitements, les recherches étiologiques que pour l’objectivation par IRM fonctionnelle.
La pédopsychiatrie est illustrative de l’impact général possible du DSM 5.
L’exemple du trouble du spectre autistique (TSA) est intéressant à ce titre car il rassemble dans un seul groupe un ensemble très large de phénomènes qui ont en commun un certain nombre de critères dont la seule modulation est l’intensité des signes répartie en trois niveaux. L’autisme a son curseur et renvoie implicitement au même mécanisme à l’œuvre chez des personnes qui paraissent avoir le même fonctionnement particulier. Les troubles du spectre autistique auraient une étiologie de pénétrance variable. Or la clinique nous montre que sous une même bannière ce sont des phénomènes très hétérogènes qui sont réunis et que rien n’indique ni ne prouve qu’ils relèvent du même processus pathogène.
Notre préoccupation touche également la recherche.
Le DSM III a montré son incapacité à répondre à l’exigence de validité interne et externe. Le DSM 5 n’apporte pas de réponse à cette question et n’en tire pas de conséquences. La psychiatrie ne peut se réduire à la mise en correspondance entre un trouble et une étiologie neurobiologique. La recherche en psychiatrie devra se confronter à la complexité et renoncer à une résolution unidimensionnelle.
L’observation clinique fine, l’appréhension de la personne en relation avec son environnement, son histoire personnelle et transgénérationnelle, les événements somatiques et psychiques intégrés fondent la psychiatrie européenne, ce que ne nous retrouvons ni dans le DSM III ni dans le DSM 5.
Sous l’influence du DSM (III ou 5) la psychiatrie deviendra-t-elle, en réponse à la demande sociale, une spécialité réduite à deux versants, médical et sécuritaire et, pour la pédopsychiatrie, neuropédiatrique et éducatif ?
(1) Ancienne présidente de la Fédération française de psychiatrie (FFP-CNPP) et présidente de la Société de l’information psychiatrique
(2) Pédopsychiatre Angers
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