Les vers de vase, ou chironomes, sont les larves de petits diptères (Chironomus plumarius), moucherons ou moustiques non piqueurs, qui vivent près des cours d'eau à courant lent, des ruisseaux et des mares. Leurs larves de couleur rouge sang sont utilisées vivantes pour la pêche et séchées pour l’alimentation des poissons d'aquarium.
Mario Z, pêcheur habituel, témoigne, nous sommes en avril : « Je suis allé pêcher dimanche dernier au bord du grand lac, du côté des peupliers. Presque au bout d'une heure de pêche je me suis mis à éternuer sans arrêt, mes yeux coulaient et piquaient. Je me suis dit que c'était à cause des peupliers qui produisaient des flocons blancs, des pollens quoi… Le sol en était couvert, tout blanc ! J'ai été obligé de partir. C'est dommage car j'avais changé mes appâts : des asticots pour des vers de vase, et la pêche commençait à être bonne… ».
Ce patient pense que les éternuements et la conjonctivite qu'il présente sont liés à une allergie pollinique. Mais son discours nous fournit le diagnostic : il a changé d'appâts, préférant les vers de vase aux asticots. Mario Z. a en réalité une allergie aux vers de vase.
En interrogeant le patient on apprend qu'il n'est pas atopique, ces manifestations de type allergique sont les premières en date, il n'a eu aucun antécédent de rhinite ou de conjonctivite au cours des années précédentes, au moment de la grande saison des pollen. Les prick tests cutanés sont négatifs pour les pollens de graminées et d'arbres, mais positifs pour Dermatophagoides pteronyssinus et les blattes. À l'époque, il n'avait pas été testé pour les chironomes.
Il lui est recommandé de ne plus se servir de cet appât de pêche. À défaut, il lui est recommandé de ne pas se frotter le visage ou nez après chaque action de pêche. Guérison clinique avec un recul de 3 ans.
Une allergie largement documentée depuis 1980
L'allergie aux vers de vase a été décrite dans les années 1980, d'abord sous la forme de cas isolés puis de quelques séries. En dehors des pêcheurs, l'allergie aux chironomes peut atteindre les aquariophiles et les employés de firmes d'aliments pour les poissons.
— Une femme de 34 ans développa à six reprises un œdème périorbitaire avec conjonctivite en nourrissant des grenouilles tropicales. L'aliment utilisé indiquait dans sa composition : « Larva Roja Mosquito Chironomus plumosus » (1)
— Parmi 38 aquariophiles, Mairesse et Ledent (2) ont détecté 4 personnes atteintes de rhinite et asthme par allergie au ver de vase.
— Une grande étude (3) a été menée auprès de 225 volontaires aquariophiles, 68 femmes et 157 hommes, employés par des firmes d'aliments pour poissons, exposés à l'allergène des chironomes Chi t 1 (Chironomidae hemoglobins). La présence d'IgE anti-Chi t1, détectée chez 34 % des individus, était corrélée à celle des symptômes cliniques : conjonctivite (63 %), rhinite (62 %), asthme (45 %), urticaire (37 %).
Une requête effectuée sur le moteur de recherche PubMed nous a fourni à ce jour ce jour 95 références, rapportées entre 1978 (4) et 2018 (5).
— La première observation publiée concernait plusieurs cas d'asthme IgE-dépendants décrits au Soudan par exposition aux chironomes locaux ou Cladotanytarsus lewisi encore appelé « green nemitti », endémique dans le nord du pays (4).
— La dernière observation était celle d'une jeune femme de 27 ans, non atopique, qui présentait depuis deux mois une rhinite sévère et un angio-œdème, quelques minutes après avoir donné deux pincées de chironomes (C. thummi thummi) à ses poissons. Ces symptômes n'apparaissaient pas lorsqu'elle donnait un autre type de nourriture à ses poissons. Ses prick-tests étaient positifs à plusieurs allergènes commerciaux (Dermatophagoides pteronyssinus, crevette, moule, Anisakis simplex, moustique, blatte). Des IgE sériques spécifiques (IgEs) furent détectées vis-à-vis des larves de C. thummi dans le sérum de la patiente. Les protéines responsables de ces résultats positifs, formes monomériques et dimériques de l'hémoglobine des cers de vase, ont un PM de 30-32 et de 10-17kDa (5).
L'hémoglobine des petits vers en cause
L'allergène en cause est l'hémoglobine des chironomes (6). Cette allergie survient le plus souvent chez des individus déjà sensibilisés à divers allergènes (acariens, crustacés, autres arthropodes). Le mécanisme de la sensibilisation aux chironomes chez des patients atteints de rhinite et/ou d'asthme fait intervenir :
1) l'inhalation de particules de chironomes ;
2) l'exposition à des appâts de pêcheur contenant des chironomes, chez les particuliers ou les travailleurs de l'industrie des aliments pour aquariophiles ;
3) des réactions croisées entre acariens, crevette et moustiques ;
4) une sensibilisation à la tropomyosine des crustacés. Si le plus souvent les patients sont atopiques et multisensibilisés, les symptômes peuvent survenir, plus rarement, chez les non atopiques.
Le diagnostic est facile au vu de l'histoire clinique (pêcheurs, aquariophiles), des symptômes (urticaire, bronchospasme, rhinite allergique, angio-œdème oculaire) et de la positivité du bilan allergologique (prick-tests et dosage des IgEs anti-Chit 1). Des cas de syndrome néphrotique ont été rapportés. Il faut signaler que des réactions adverses aux prick-tests avec les larves de chironomes ont été publiées (7).
Les pêcheurs de loisir et les aquariophiles
D'autres appâts de pêcheurs exposent tous à un risque d'allergie, comme les daphnies, les mouches, des vers, les lombrics, Tenebrio molitor (8-10). Toutefois, les vers de vase sont ceux qui ont été le plus incriminés aussi bien chez les pêcheurs de loisir que chez les personnels travaillant dans des firmes d'aliments pour poissons et aquariophilie. Les symptômes de cette allergie curieuse sont oculaires, respiratoires et cutanés. Des allergies sévères et des anaphylaxies sont possibles.
(1) Morrow Brown H, Merrett J, Merrett TG. Fish food allergy. Allergy 2000;55:901-2.
(2) Mairesse M, Ledent C. Allergie respiratoire et aquarium. Rev Mal Resp 1996;13 (Suppl. 1) (Abstract).
(3) Liebers V, Hoernstein M, Baur X. Humoral response to the insect allergen Chi t1 in aquarists and fish-food factory workers. Allergy 1993;48:236-9.
(4) Kay AB, Gad El Rab MO, Erwa HH. Widespread IgE-mediated hypersensitivity in Northern Sudan to the chironomid Cladotanytarsus lewisi (« green nimitti).Clin Exp Immunol 1978;43(1):106-10
(5) de las Vecillas L, Bartolomé-Zavala B, Asensio E, et al. Hypersensitivity to Chironomid Larvae in a Nonatopic Patient: Safe Diagnosis Tools to Identify a Potent Allergen. J Invest Allergol Clin Immunol 2018;28(4):259-60
(6) Liebers V, Baur X. Chironomidae haemoglobin Chit I– characterization of an important inhalant allergen. Clin Experiment All. 1994; 24(2):100-8.
(7) Nguyen M, Paradis L, Des Roches A, et al. Adverse reactions resulting from skin testing in the diagnosis of red grubs (Chiromides) allergy. Allergy 2007;62(12):1470-1
(8) Tripodi S, Falagiani P, Perinelli T, et al. Allergy to fishing bait. Allergy 2002; 57(7):653.
(9) Valero Santiago A, Huguet Casals J, Sanosa Valls J, et al. Angioedema, rhinitis and asthma provoked by fishing bait (Eisenia foetida). Allergol Immunopathol (Madrid) 1989; 17(6):331-5.
(10) Félix-Toledo R, Pagan JA, Hernandez J, et al. Allergy to sea fishing baits. J Invest AllergolClin Immunol 2005;15(3):216-8.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?