La pique est allée droit au but. « Monsieur le ministre, merci de votre présence. Mais on aurait aimé que madame Vautrin, les ministres en charge de l’Outre-mer, de la Recherche, des Collectivités locales ou du Handicap soient aussi présents ! », a taclé, le 24 mai, Adrien Taquet, coprésident des Assises de la pédiatrie, à l’adresse de Frédéric Valletoux, invité à décliner la feuille de route 2024-2030 du gouvernement. Le message de l’ancien secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles était clair : la situation est grave – urgences pédiatriques saturées, lits qui font défaut, service de néonatalogie en difficulté, métiers en berne – et tous les ministères doivent être mobilisés au service de cette priorité de santé publique.
De fait, ces assises ont révélé un état des lieux catastrophique. En 2020, les urgences pédiatriques enregistraient 5,5 millions de passages, soit 27 % du total des recours aux urgences. Les délais d’attente pour accéder à l’offre pédiatrique et pédopsychiatrique explosent (six à 18 mois pour un rendez-vous). Dans le même temps, la santé mentale des ados se dégrade. Une étude de la Drees publiée cette année révèle que pour la seule année 2022, le nombre de tentatives de suicide a bondi de 42 % dans la tranche d’âge 15-19 ans et de 63 % chez les 10-14 ans. Après les accidents de la route, le suicide est la deuxième cause de mortalité entre 10 et 25 ans. Sur le plan de la mortalité infantile, la France se situe au 22e rang sur 34 pays européens…
« Pas le Père Noël »
« Je ne suis pas le Père Noël », a prévenu Frédéric Valletoux, assurant que sa feuille de route était « ambitieuse ». Même si tous les arbitrages ne sont pas rendus, l’enveloppe devrait atteindre quelque « 300 millions d’euros par an » d’ici à 2030, a confié le ministre au Quotidien en marge des Assises, autour de quatre axes : la prévention, l’amélioration de la prise en charge sanitaire, la préservation de la santé mentale et le développement de la recherche et de l’innovation.
Mesure phare, le gouvernement entend « systématiser la réalisation des 20 examens obligatoires » de l'enfant. Dès cet été, le nouveau modèle du carnet de santé sera défini. Le contenu actualisé des 20 examens de santé obligatoires ainsi que l’alimentation automatique des trois certificats de santé seront disponibles à partir de 2025. Une nouvelle « consultation obligatoire à 6 ans » sera créée pour détecter d'éventuels troubles du neuro-développement, du langage ou optiques. La vaccination contre la bronchiolite avec le Beyfortus de Sanofi sera étendue l'an prochain aux praticiens en ville. Le gouvernement se fixe aussi pour objectif d’atteindre, à l’horizon 2027, 100 % d’enfants bénéficiant d’un dépistage en maternelle grâce à l’action conjointe des PMI (protection maternelle et infantile), de l’Éducation nationale et des libéraux.
Le plan prévoit par ailleurs de faciliter « l'accès direct aux orthophonistes », sans passage par la case médecin traitant (en déployant les plateformes Prévention et soins en orthophonie). Et afin d’assurer « une présence médicale plus soutenue dans nos écoles », l’exécutif autorisera des passerelles entre les médecins de l’Éducation nationale, les hospitaliers et les libéraux. Le concours de médecin de l’Éducation nationale sera ouvert aux étudiants thésés.
Des prises en charge revalorisées
En 2024, les tarifs des séjours de pédiatrie font l’objet d’une évolution de 2,6 % par rapport à l’évolution moyenne des tarifs de court séjour. De façon plus structurelle, il est prévu de porter une revalorisation de la pédiatrie dans le cadre de la réforme du financement de l’hôpital avec l’ouverture d’un chantier sur la révision des tarifs applicables aux activités de pédiatrie pour valoriser la complexité des soins aux enfants. Et sur le versant libéral, le projet de convention médicale met l’accent sur la pédiatrie, spécialité au bas de l’échelle des revenus.
L’accès aux soins non programmés et la régulation du recours aux urgences sont prioritaires. Le ministre veut développer « partout où c’est possible » une filière pédiatrique dans les services d’accès aux soins (SAS) qui doivent couvrir « d’ici à l’été » l’intégralité du territoire. Parallèlement, le plan prévoit de développer une filière pédiatrique des soins médicaux et de réadaptation (SMR) et l’hospitalisation à domicile en pédiatrie. En néonatalogie, l'objectif est de garantir un taux d’équipement en réanimation néonatale cible d’un lit pour 1 000 naissances dans chaque région (+ 4 %).
Les mesures demeurent très en deçà de ce qui était attendu, avec parfois de purs effets d’annonce
Dr Jérémy Do Cao, président du SNPEH
Des forces vives, mais pas tout de suite
Côté cursus, le gouvernement compte accroître de 50 % le nombre de places en formation en médecine pédiatrique d’ici à 2030 pour atteindre 600 places par an. Il créera aussi une mention en pratique avancée en santé des enfants pour les infirmiers, effective pour la rentrée scolaire 2027. Pour soutenir la pédopsychiatrie, le plan rappelle la simplification du dispositif MonSoutienPsy, accessible dès 3 ans, avec des séances tarifées 50 euros (et jusqu’à 12 séances annuelles au lieu de huit).
« Nous sommes au début d’une étape historique », s’est réjouie la Pr Christèle Gras-Le Guen, coprésidente de ces assises. Mais certains de ses confrères se montrent moins enthousiastes. Chef de file du Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile (SNMPMI), le Dr Pierre Suesser juge l’enveloppe déléguée insuffisante. Pour le Dr Jérémy Do Cao, président du Syndicat des pédiatres en établissement hospitalier (SNPEH), les mesures demeurent « très en deçà de ce qui était attendu ». « D’autant, ajoute-t-il, que certaines sont… de purs effets d’annonce. Nous prenons ce qui est bon à prendre, mais la communauté pédiatrique reste dubitative ». Pas en reste, la Dr Brigitte Virey, présidente du Syndicat national des pédiatres français (SNPF, libéraux) regrette une approche trop hospitalo-centrée et un « saupoudrage sans vision ». Si elle salue certaines avancées (hausse du nombre d’internes, filière pédiatrique dans les SAS), elle déplore « le peu de place laissé à la pédiatrie ambulatoire ».
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