C'était une décision attendue avec impatience : la Haute Autorité de santé (HAS) vient de recommander l'élargissement du dépistage néonatal à l'amyotrophie spinale. La balle est maintenant dans le camp du ministère de la Santé qui aura la responsabilité de le mettre en place.
Maladie touchant environ 1 naissance sur 10 000, l’amyotrophie spinale (SMA) se caractérise par une dégénérescence neuromusculaire irréversible. Dans ses formes les plus sévères, elle conduit au décès de l’enfant avant l’âge de 2 ans. Il existe maintenant des traitements qui peuvent sauver la vie des jeunes patients et réduire considérablement les risques de handicaps fonctionnels, à condition d'être administrés avant les premiers symptômes.
Réduire le délai diagnostique de 5 mois… à 7 jours
Actuellement en France, le délai médian diagnostique de la SMA serait compris entre 3 et 5 mois environ après la naissance. Or l’étude pilote Depisma a montré la faisabilité du dépistage avec une réduction du délai médian diagnostique à 7 jours. Ce dépistage peut être réalisé en même temps que les 13 autres maladies dépistées à la naissance, à partir de quelques gouttes de sang séché sur buvard.
Coordinateur de l'essai Depisma, le Pr Vincent Laugel, neuropédiatre au centre de référence des maladies neuromusculaires (CHRU de Strasbourg) est ravi de l'avis de la HAS, espérant qu’il se traduise par une mise en place effective du dépistage. « C'est l'aboutissement d'un long travail, sourit-il. Il faut toutefois rester prudent : l'Histoire ne manque pas de dépistages organisés recommandés par la HAS mais jamais concrétisés, faute de volonté politique. » On peut citer le cas du déficit immunitaire combiné sévère (DICS), préconisé depuis 2022 par la HAS, mais dont la mise en place n'est pas à l'ordre du jour. Dans son avis, l'institution propose d'ailleurs de coupler le dépistage de l’amyotrophie spinale avec celui du DICS, puisqu’ils utilisent tous les deux une PCR quantitative.
Le dépistage de l'amyotrophie spinale a en effet la particularité d'utiliser la biologie moléculaire (recherche de la mutation homozygote du gène SMN1) et non la recherche de marqueurs biologiques comme ce fut le cas de tous les programmes de dépistage mis en place jusqu'à présent. Il a d'ailleurs fallu attendre 2020 et l'inclusion d'un amendement autorisant le dépistage génétique néonatal dans la révision de la loi de bioéthique pour rendre possible les premières études pilotes (la loi en elle-même a été promulguée en août 2021). La HAS insiste sur l'acquisition de machines PCR et la formation des personnels à leur utilisation.
Elle recommande par ailleurs un accompagnement psychologique des familles par un professionnel connaissant bien la maladie « dès l'annonce du diagnostic, y compris pour les parents d'enfants atteints d'une forme moins sévère ou plus tardive », non éligibles aux traitements médicamenteux mais nécessitant une surveillance médicale rapprochée.
Des traitements révolutionnaires
« Il y a aussi toute une logistique à mettre en place qui va de la disponibilité des cartons buvards à l'annonce du résultat positif, reconnaît le Pr Laugel. Il faut aussi former les professionnels des centres de santé qui n'ont pas l'habitude de faire des dépistages génétiques. Mais l'investissement global demandé est ridicule par rapport à l'ampleur de la question. Avec 6 à 7 millions par an seulement, on peut véritablement sauver des vies et assurer un quotidien en bonne santé à des enfants qui souffriraient de handicaps très lourds et très coûteux, s'ils étaient dépistés plus tard. » Pour le Pr Laugel, les sommes en jeux ne justifient pas un passage par une loi de financement de la sécurité sociale, « une décision administrative et une ligne budgétaire de la Direction générale de la santé (DGS) devraient suffire, estime-t-il. Nous avons déjà décrit toutes les étapes du dépistage, le mode d'emploi est prêt, et partagé avec tous les centres régionaux de dépistages qui sont déjà en ordre de bataille. »
Depuis 2017, trois traitements ont véritablement révolutionné la prise en charge de l'amyotrophie spinale : Spinraza (nusinersen), Zolgensma (onasemnogene abeparvovec), et Evrysdi (risdiplam), mais leur fenêtre thérapeutique est étroite. « Il faut que ces traitements soient administrés en moyenne au 20e jour de vie de l'enfant, avant l'apparition des symptômes, pour une efficacité optimale, précise le Pr Laugel. C'est une véritable course contre la montre. »
Inquiétude sur la poursuite de Depisma
Lancé il y a plus de deux ans, Depisma est un programme préfigurateur cofinancé par des fonds publics et privés et par l'AFM Téléthon. Le succès a dépassé les attentes du Pr Laugel : « La totalité des maternités des deux régions (Grand Est en Nouvelle Aquitaine) ont participé, et nous avons une exhaustivité de 93 ou 94 % des naissances, explique-t-il. Mais de par son financement public privé, Depisma n'a pas vocation à durer au-delà de la fin de 2024 ou du début de 2025. Il faut que le dépistage national se mette rapidement en place, car on ne peut pas imaginer qu'il nous faille tout arrêter. » En deux ans, 100 000 enfants ont été dépistés, dont 9 positifs ont pu être traités dans les temps.
En dépit de programmes pionniers comme Depisma, la France accuse un certain retard en Europe en ce qui concerne le dépistage néonatal. L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Croatie, le Danemark, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Norvège, les Pays Bas, la Pologne, le Portugal, la Turquie, la Slovénie, la Suède, le Luxembourg, la Suisse, la Russie et l’Ukraine dépistent l'amyotrophie spinale depuis plusieurs années déjà. Dans un communiqué de presse publié en réaction à l'avis de la HAS, l'AFM Téléthon « demande que cet engagement soit repris par le futur gouvernement et que tous les moyens soient mobilisés afin de réduire au maximum ce trop long délai ».
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