La chirurgie pédiatrique concerne des individus en croissance dont la biologie et les pathologies sont tout à fait spécifiques, dominées par les malformations et anomalies du développement. Elle doit tenir compte de ces particularités dans ses indications, mais aussi dans la prise en charge de l’enfant et de sa famille, qui est par essence globale. Cette spécialité est malheureusement en grande difficulté pour de multiples raisons.
Une population captive en CHU…
Comme elle nécessite un plateau technique important, dans un environnement pédiatrique, avec des services de réanimation et de néonatologie, une permanence médicale, tant sur le plan pédiatrique qu’anesthésique, la chirurgie pédiatrique s’exerce majoritairement à l’hôpital, principalement dans les CHU.
Les structures privées ou mixtes qui en font sont peu nombreuses sur le territoire, et se restreignent à la prise en charge d’enfants de plus d’un an et aux pathologies simples ne nécessitant pas de plateau technique ou d’environnement médical spécialisé (pathologies inguinoscrotales, appendicites, malformations urologiques mineures, fractures, inégalité de longueur de membres, etc.).
… qui subit de plein fouet la crise de l’hôpital public
Cette particularité ainsi qu’une tarification à l’acte très défavorable pour l’ensemble des actes chirurgicaux — et paradoxalement pour les plus complexes — expliquent en grande partie les difficultés que rencontre cette discipline. En effet, elle subit aujourd’hui de plein fouet la crise de l’hôpital public, les difficultés de recrutement de personnel paramédical étant aggravées par la pénurie d’anesthésistes dont l’orientation en chirurgie pédiatrique se fait de plus en plus rare.
Cette restriction considérable des capacités de soin n’est pas compensée par les activités du secteur privé, qui n’investissent pas dans un domaine aussi spécialisé et sensible que peu rentable.
Ces caractéristiques expliquent également le manque d’attractivité vis-à-vis des étudiants en formation, d’une spécialité pourtant passionnante, tant par le public auquel elle s’adresse que par les sujets de recherche clinique et scientifique qu’elle aborde.
En 2015, on comptait 500 chirurgiens pédiatres dont 350 (69 %) exerçant en CHU, 80 (16 %) en CHG et 60 (12 %) en libéral. Cela représente trois équivalents temps plein pour 100 000 enfants et adolescents de moins de 20 ans. À noter que 20 % des praticiens non universitaires étaient issus d’une formation non européenne avec une autorisation d’exercice par la procédure d’autorisation d’exercice (PAE). La pyramide des âges montrait que le nombre de chirurgiens pédiatres en formation est insuffisant pour répondre à la demande sur le territoire dans les prochaines années.
Limitation de la place des chirurgiens d’adultes
Quant aux chirurgiens d’adulte, leur place dans la prise en charge des pathologies chirurgicales des enfants n’a jamais été très claire. En effet, si la chirurgie cardiaque et la neurochirurgie pédiatriques sont soumises à autorisations de site, et sont donc rigoureusement encadrées, tout chirurgien peut réaliser un acte chirurgical chez un enfant dans son domaine de compétence reconnu par l’ordre des médecins. Seuls les titulaires du DES ou du DESC de chirurgie pédiatrique peuvent néanmoins être inscrits à l’ordre dans la spécialité « chirurgie pédiatrique ».
Mais la contribution des chirurgiens d’adulte dans la prise en charge des pathologies chirurgicales de l’enfant s’est amenuisée au fil des années, en raison essentiellement d’une limitation imposée par le niveau de spécialisation des anesthésistes, en particulier pour les enfants de moins de trois ans.
La réforme du 3e cycle des études médicales, en favorisant une filialisation très précoce et en limitant les possibilités de stage en chirurgie pédiatrique va très clairement diminuer la sensibilité des chirurgiens adultes aux spécificités de la pathologie pédiatrique.
Toutes les interventions sont concernées
L’ensemble de ces éléments explique qu’il existe aujourd’hui des difficultés croissantes d’accès aux soins pour les enfants nécessitant une intervention chirurgicale en France. Cela est vrai pour les pathologies complexes mais également pour les plus communes, les sites spécialisés étant dans l’incapacité d’absorber ces dernières, déjà submergés par les premières. La récente crise sanitaire, qui a conduit à l’annulation des chirurgies non urgentes a grandement affecté la population pédiatrique qui — il faut le répéter — est captive de l’hôpital pour la majorité des chirurgies.
Une lettre de mission a été adressée très récemment à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) par le ministre de la Santé Olivier Véran, pour faire le point sur cette situation. L’enquête devra prendre en compte les difficultés que rencontre la chirurgie pédiatrique et permettre d’identifier des leviers d’action. Cela passera très certainement par une réorganisation des réseaux de soins (hospitaliers et de ville), mais aussi par la relance de l’attractivité de cette discipline, la revalorisation des actes et l’accroissement des postes hospitaliers, sur un modèle qui pourrait rejoindre celui des plans maladies rares successifs.
Il s’agit d’une urgence, car les praticiens issus de la grande école de chirurgie pédiatrique française sont encore présents pour assurer la transmission d’un savoir-faire reconnu mondialement ; dans quelques années, il sera trop tard.
Exergue: Le nombre de chirurgiens pédiatres en formation est insuffisant pour répondre à la demande sur le territoire dans les prochaines années
*Présidente de la société française de chirurgie pédiatrique **Président de la société française d’orthopédie pédiatrique
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