« S’il est difficile d’obtenir des chiffres précis, le secteur associatif évalue le nombre de mineurs prostitués en France entre 7 000 et 10 000, mais cela reste très approximatif et probablement en deçà de la réalité. Ce qui est certain, c’est que la tendance est à la hausse. » Parmi ses nombreuses activités professionnelles, la Dr Martine Balençon exerce à la Cased (cellule d’accueil spécialisé de l’enfance en danger) à l’hôpital Sud de Rennes. La maltraitance des enfants et des adolescents étant son cœur de métier, elle rappelle que les mineurs prostitués sont avant tout des victimes. « On sait que c’est une mise en danger grave. En outre, même s’il ne faut pas généraliser, la prostitution touche généralement des mineurs extrêmement vulnérables, avec un parcours de violences subies et de danger qui passe parfois inaperçu, précise-t-elle. Or, avec le développement d’internet et des réseaux sociaux, les réservations d’hôtels en ligne, la marchandisation des corps — avec la multiplication des photos et des vidéos de filles de plus en plus jeunes — on constate que de nouvelles formes de prostitution font leur apparition. » Parallèlement, des termes comme « michetonnage » ou « escorting » sont largement utilisés, ce qui contribue à banaliser l’activité prostitutionnelle, à la mettre à distance tant des mineurs que des professionnels. « Autant d’éléments dont il faut se méfier », souligne la pédiatre.
Groupe de travail pluridisciplinaire
Aux côtés notamment du Dr Georges Picherot, en tant que représentants des sociétés pédiatriques SFP et SFPML, la Dr Balençon a participé au groupe de travail sur la prostitution des mineurs présidé par Catherine Champrenault (procureure générale près la Cour d’Appel de Paris) et coordonné par Gilles Charbonnier (avocat général près la Cour d’Appel de Paris). Le 28 juin dernier, ce groupe de travail pluridisciplinaire a remis un rapport à Adrien Taquet, secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles, dans lequel figurent un certain nombre de constats et de recommandations. « Notre objectif était de présenter la problématique, de donner des clés de compréhension sur son ampleur et, dans un deuxième temps, de s’interroger sur nos pratiques et sur la façon dont on peut lutter collectivement contre ce phénomène, explique la Dr Balençon. Nous avons éclairé le groupe sur le volet santé, au sens de la définition de l’OMS. De plus, le groupe de travail a réuni des acteurs de la justice et du travail social, des associations, des représentants de réseaux sociaux ou de plateformes en ligne, des médecins… C’était intéressant de croiser les regards et de parvenir à des conclusions communes, comme la nécessité d’accentuer la sensibilisation et la formation sur la prostitution des mineurs, l’urgence de développer une prévention ciblée et l’importance de proposer des prises en charge globales, en particulier en santé. »
Repérage par les professionnels de santé
Si la prostitution des mineurs est mal connue du public, elle l’est également — c’est l’un des enseignements des travaux du groupe de travail — de nombreux professionnels, dont les médecins qui prennent en charge les enfants et adolescents. « Dans ce contexte, il est essentiel d’informer la communauté pédiatrique et d’engager une réflexion commune sur ce sujet, que l’on souhaiterait voir au programme de notre congrès SFP 2022, détaille la Dr Balençon. En effet, il est aujourd’hui urgent de sensibiliser et de former au repérage de ces situations. » Premier axe, donc, mettre l’accent sur la formation et l’information pour permettre une plus grande prise de conscience, en particulier par le déploiement de la notion de « feux rouges » qui, pour les soignants, doivent faire évoquer la possibilité d’une situation prostitutionnelle. Deuxième axe : se demander comment on peut prévenir cette prostitution des mineurs. « Prévention des violences, des violences éducatives ordinaires et de la violence chez les enfants placés, programmes à destination des mineurs non accompagnés (MNA)… Nous devons mener des actions de prévention et développer des outils qui intègrent pleinement ce sujet-là, avec une prévention ciblée pour les publics particulièrement vulnérables », explique la Dr Balençon. Troisième axe sur lequel il faut agir, enfin : le traitement des victimes, la façon dont on prend soin d’elles. « En tant que médecins, nous sommes bousculés par ces situations, souvent extrêmement compliquées, complète-t-elle. Comment fait-on pour être dans une pratique intégrée ? Pour dépasser ses projections, travailler sur les parcours de soins, être dans une pratique intégrée en milieu protégé où, comme pour toutes les situations de violence, le constat et la prise en charge somatique psychique et sociale sont associés ? Toutes ces questions sont primordiales et le concept de pédiatrie médicolégale est une réponse intégrée en santé qui prend là tout son sens. »
Pour Martine Balençon, chaque médecin devrait pouvoir contribuer au repérage de situations de danger grave, et s’intégrer ainsi comme acteur dans le parcours souvent très complexe de ces jeunes : « Nous ne pouvons pas nous affranchir de ce qu’est le jeune sur le plan global. Comme d’autres sujets, la prostitution des mineurs nous oblige à faire du lien, à multiplier les partenariats avec d’autres professionnels de santé, à travailler en réseau ».
Exergue : « Il est essentiel d’informer la communauté pédiatrique et d’engager une réflexion commune sur ce sujet »
Entretien avec la Dr Martine Balençon, pédiatre médecin légiste, présidente et fondatrice de la Société française de pédiatrie médico-légale (SFPML)
* http://www.sfpediatriemedicolegale.fr
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