La thrombectomie est-elle la meilleure solution dans l’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique quel que soit le calibre de l’artère occluse ? Beaucoup d’équipes sont d’avis que oui, au vu des résultats d’efficacité incontestés dans les AVC des artères de gros calibre. Pourtant deux essais internationaux randomisés de phase 3, publiés simultanément dans The New England Journal of Medicine à l’occasion du congrès Stroke de l’American Heart Association (5 au 7 février à Los Angeles), suggèrent clairement des limites à la procédure.
Les essais Escape-Mevo (pour Endovascular Treatment to Improve Outcomes for Medium Vessel Occlusion) et Distal, très proches méthodologiquement, concluent tous deux à l’absence de bénéfice de l’associer au traitement médical dans les occlusions de petit et moyen calibres (1,2). Dans chaque essai, le score d’invalidité, mesuré par l’échelle de Rankin modifiée à 90 jours (critère principal de jugement), n’était pas différent entre le groupe ayant eu une thrombectomie associée au traitement médical conventionnel et celui ayant eu le traitement conventionnel seul. Pire, l’essai Escape-Mevo suggère même une mortalité supérieure dans le groupe thrombectomie (13,3 % versus 8,3 %, hazard ratio ajusté de 1,82), quand il n’y a pas de différence significative dans l’essai Distal (15,5 % versus 14,0 %).
Des résultats décevants car, même si la thrombolyse a plus de chance d’être efficace dans les petits et moyens vaisseaux que dans les gros, elle ne permet à elle seule d’obtenir une recanalisation dans environ 50 % des occlusions de petit et moyen calibre.
En majorité, des occlusions des artères de moyen calibre
L’essai Escape-Mevo, soutenu par les Instituts canadiens de la recherche en santé et Medtronic, a inclus 530 patients de 58 sites dans cinq pays (Canada, États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Hongrie) ; l’essai Distal, soutenu par la Fondation nationale suisse pour la science, 543 patients de onze pays en grande majorité européens (Suisse, Allemagne, Belgique, Espagne, Portugal, Italie, Pays-Bas, Suède, Israël, Finlande et Royaume-Uni).
La thrombectomie est actuellement recommandée en Europe jusqu’à six heures après le début des symptômes voire jusqu’à vingt-quatre heures chez des patients sélectionnés par l’imagerie. Dans l’essai Escape-Mevo, la thrombectomie était réalisée jusqu’à douze heures après le début des symptômes et jusqu’à vingt-quatre heures dans Distal. Dans les deux essais, la majorité des occlusions concernait des artères de moyen calibre (84,7 % dans Escape-Mevo et 70 % dans Distal).
Le traitement conventionnel médical était conforme aux recommandations canadiennes, américaines et européennes, à savoir une thrombolyse intraveineuse avec de la ténectéplase ou de l’altéplase si les conditions étaient réunies, une prise en charge en unité d’urgence neurovasculaire, de la réhabilitation précoce, des examens pour la recherche du mécanisme causal, un traitement préventif de l’AVC et la réduction du risque cardiovasculaire. En particulier, une thrombolyse intraveineuse a été administrée à près de deux tiers (65,4 %) des participants dans l’essai Distal, un peu moins (58,3 %) dans Escape-Mevo.
Un pronostic fonctionnel inchangé
Dans les deux essais, les résultats étaient négatifs pour le critère principal d’évaluation. Dans Escape-Mevo, à 90 jours, un score de Rankin de 0 ou 1 était observé chez 106 des 255 patients (41,6 %) du groupe thrombectomie et chez 118 des 274 patients (43,1 %) du groupe traitement médical seul (risque relatif ajusté de 0,95, intervalle de confiance [IC] à 95 % 0,79-1,15 ; p = 0,61). Dans Distal, le niveau de handicap à 90 jours mesuré par le score de Rankin modifié n’était pas différent dans les deux groupes (odds ratio pour l’amélioration du score à 0,90, IC 95 % 0,67-1,22, p = 0,50).
Outre la mortalité toutes causes, les critères secondaires évalués comprenaient la survenue d’une hémorragie cérébrale symptomatique (5,9 % et 2,6 % respectivement dans le groupe avec thrombectomie et celui traitement médical seul pour l’essai Distal, 5,4 % et 2,2 % pour Escape-Mevo). Dans Distal, aucun bénéfice supplémentaire n’est apparu dans des sous-groupes de patients, dont ceux non traités par thrombolyse préalable et ceux avec des AVC sévères.
Biais de recrutement
Faut-il alors abandonner la thrombectomie pour les AVC des artères de moyen et petit calibre ? Les investigateurs des deux essais ne sont pas aussi tranchés. Certes, les résultats ne sont pas en faveur de son utilisation en routine pour ce type d’AVC. « Savoir que le traitement médical habituel, souvent avec des thrombolytiques, est le mieux pour les occlusions des vaisseaux de moyen calibre aide à garantir que chaque patient a le bon traitement pour chaque situation », a déclaré le Dr Michael Hill, neurologue enseignant à l’université de Calgary et co-investigateur principal de l’essai Escape-Mevo.
Nous voyons nos résultats comme un appel à continuer les recherches
Dr Marios Psychogios, neuroradiologue interventionnel à l’université de Bâle (Suisse)
Néanmoins, les auteurs des deux études soulignent plusieurs points qui ont pu influer défavorablement sur les résultats. Pour Escape-Mevo et Distal, le temps de recanalisation était supérieur en moyenne à celui des études sur les AVC des vaisseaux de gros calibre. Par ailleurs, le suivi d’Escape-Mevo est prolongé à un an afin de vérifier si un bénéfice pourrait apparaître plus tard. Les investigateurs de Distal, comme l’auteur d’un éditorial associé (3), pointent le fait que le recrutement a pu être biaisé par les présupposés en faveur de la thrombectomie : les neurologues, persuadés de la supériorité de la technique neurovasculaire, auraient traité hors essai certains patients avec des déficits importants, ne voulant pas prendre le risque qu’ils ne soient pas dans le groupe interventionnel.
Pour les investigateurs des deux études, il est possible que d’autres dispositifs et/ou techniques neurovasculaires soient plus adaptés aux artères de petit et moyen calibres. De la même façon, ils ne renoncent pas à ce que la thrombectomie puisse être bénéfique à certains sous-groupes sélectionnés. « Même si les résultats de Distal peuvent sembler décourageants, nous le voyons comme un appel à continuer les recherches sur des options de traitement pour les patients avec occlusions distales et médianes, alors que le pronostic dans l’étude semble plus sévère qu’attendu et que les options efficaces manquent toujours », estime le Dr Marios Psychogios, neuroradiologue interventionnel à l’université de Bâle (Suisse) et premier auteur de l’étude. Même si le pronostic est plus favorable que celui des AVC des artères de gros calibre, il reste que seulement la moitié des patients concernés par une occlusion distale retrouve une indépendance fonctionnelle à terme.
La thrombolyse pourrait être efficace jusqu’à 24 heures
Présenté au congrès Stroke, un essai randomisé chinois suggère que la thrombolyse par altéplase pourrait améliorer le pronostic d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique avec une administration jusqu’à 24 heures après le début des symptômes. L’altéplase est actuellement recommandé chez des patients sélectionnés jusqu’à 4,5 heures, voire jusqu’à 9 heures dans certaines situations. Les participants étaient sélectionnés sur l’imagerie de perfusion au TDM afin de s’assurer qu’il restait du tissu cérébral à sauver (zone de pénombre). Les 372 patients inclus, dont les symptômes étaient apparus entre 4,5 et 24 heures auparavant, ont été randomisés en deux groupes : l’un recevant le thrombolytique, l’autre un antiagrégant plaquettaire. Avec comme critère principal de jugement la récupération fonctionnelle à 90 jours, 40 % du groupe altéplase n’avait pas ou peu de handicap, contre 26 % du groupe soins standards, ce qui correspond à une augmentation de 54 % des chances de récupération. Moins de 3 % des participants avaient eu une thrombectomie mécanique. Le taux de mortalité était le même dans les deux groupes (10,8 %). Le risque de saignement était plus important dans le groupe thrombolyse (3,8 % versus 0,5 %). Les auteurs appellent à évaluer l’efficacité et la sûreté d’autres thrombolytiques utilisés, comme la ténectéplase.
(1) M. Goyal et al., N Engl J Med, 2025. DOI: 10.1056/NEJMoa2411668
(2) M. Psychogios et al., N Engl J Med, 2025. DOI:10.1056/NEJMoa2408954
(3) J. Mocco et al., N Engl J Med, 2025. DOI: 10.1056/NEJMe2500492
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