LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : L'expérimentation sur le cannabis thérapeutique doit se terminer en mars 2023. Comment voyez-vous la suite ?
FRANTZ DESCHAMPS : La France a du retard ! Il est urgent de structurer, d'ici à la fin de l'expérimentation, une filière économique autour du cannabis médical. Un nouveau comité scientifique temporaire (CST), dirigé par le Pr Nicolas Authier, va se mettre en place dans les prochaines semaines et va définir les contours de l'après-expérimentation en termes de qualité des produits, de spécification de qualification et de création d'une filière française, ainsi que les modalités de production.
Il faut un statut réglementaire adapté au cannabis thérapeutique. C'est d'ailleurs une question très complexe. Il faut savoir comment le service médical rendu et l'amélioration du service médical rendu seront évalués, comment sera fixé le niveau de remboursement et comment les patients auront accès aux traitements.
L'expérimentation repose sur des fournisseurs étrangers. Est-il envisageable que des acteurs français entrent en cours de route ?
C'est absolument impossible. Pour développer ce type de médicament, il faut entre 18 mois - si on se limite à la fleur - et 24 mois - si on veut produire des extraits. Ce délai s'explique par le temps nécessaire à la validation de la plante, de l'extraction et du produit fini. Même si on avait commencé le premier jour de l'expérimentation, nous n'aurions pas été prêts à temps. C'est la raison pour laquelle nous avons organisé ces Assises : il est urgent de lancer des projets de développement et de validation. Actuellement, il est possible d'obtenir des dérogations à titre de recherche dans le cadre du régime « stupéfiant et psychotrope ». Nous attendons un décret en cours d'étude par le Conseil d'État qui autorise la production en vue de développer puis distribuer un produit.
Les différentes formulations du cannabis thérapeutique peuvent-elles répondre au cahier des charges des bonnes pratiques de fabrication (BPF) ? Est-ce souhaitable ?
La question ne se pose même pas : le cannabis thérapeutique est un médicament et il sera soumis aux mêmes obligations que n'importe quel autre médicament. Les huiles et fleurs expérimentées aujourd'hui ne sont pas produites par des laboratoires pharmaceutiques, mais elles respectent les BPF ou des normes équivalentes en Europe. Les producteurs sont associés en tandem avec des laboratoires pharmaceutiques qui assurent le suivi du produit.
Le savoir-faire technologique nécessaire au bon respect des BPF est déjà là : nous savons extraire les principes actifs, les caractériser et les analyser pour faire un médicament stable et sûr. C'est délicat, car certaines molécules comme le THC sont assez peu stables : il y a eu des retraits de lot en Allemagne par exemple.
Dans ce contexte, quel est le but de Santé France Cannabis ? Qui sont ses membres ?
Nous comptons une vingtaine de membres, qui couvrent toute la chaîne d'expertise du cannabis thérapeutique. Il s'agit de biotechs qui travaillent sur la génétique et les sélections variétales, des entreprises qui ont des projets de culture de cannabis thérapeutique, des acteurs de l'extraction qui travaillent déjà avec l'industrie pharmaceutique, comme ma propre société StaniPharm, et des laboratoires exploitants comme Boiron ou Bouchara-Recordati qui participent à l'expérimentation. Il y a deux typologies : les acteurs qui ont déjà un savoir-faire de production et les start-up qui se sont créées pour faire de la culture le jour où celle-ci sera autorisée.
Leur but n'est pas seulement de prendre le relais des producteurs étrangers, mais aussi de proposer des produits véritablement innovants. Nous devons aller au-delà de la fleur et de l'huile qui sont des formulations qu'on peut qualifier d'un peu archaïques.
Avez-vous une estimation de ce que va représenter le marché du cannabis thérapeutique français dans les années à venir ?
C'est très difficile de parler de chiffre d’affaires. Environ 700 000 patients sont concernés par les cinq indications de l'expérimentation*. Si on prend l'Allemagne comme point de référence : depuis 2017 et l'autorisation du cannabis thérapeutique, 100 000 patients sont pris en charge et remboursés (40 % des malades ne sont pas remboursés) pour un chiffre d’affaires d'environ 200 millions d'euros.
* Douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles, certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou à ses traitements, situations palliatives, spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central.
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