Diagnostic des neuropathies à petites fibres

Intérêt et limites de la biopsie cutanée

Publié le 09/06/2011
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Crédit photo : Dr Laurent Magy

PAR LE Dr LAURENT MAGY*

DEPUIS UNE dizaine d’années, la littérature médicale s’est enrichie de nombreuses publications portant sur les neuropathies à petites fibres (NPF). En effet, cette entité nosologique aux limites incertaines a longtemps été un diagnostic de présomption, souvent porté avec méfiance, devant des tableaux cliniques de douleurs neuropathiques isolées, distales ou plus diffuses. Les examens complémentaires étant le plus souvent normaux, l’origine « fonctionnelle » a été évoquée dans de nombreux cas, faute de mieux. Cependant, la convergence de l’apparition de nouvelles techniques et de l’explosion épidémique du diabète et de l’obésité outre-Atlantique a suscité un regain d’intérêt pour le concept de NPF, qui ne doit désormais plus être ignoré.

Purement sensitives par définition.

Le concept de NPF est en fait relativement ancien comme en témoignent des publications sur certaines neuropathies héréditaires ou diabétiques (1, 2). Le terme « burning feet » alors employé témoignait, d’une part, du caractère le plus souvent distal de ces neuropathies et, d’autre part, de la tonalité particulière des douleurs neuropathiques décrites par les patients. Par définition, les NPF sont purement sensitives, touchant uniquement les petites fibres amyéliniques des contingents somatique (sensibilité thermo-algique) et éventuellement végétatif. Le tableau est douloureux, les réflexes sont habituellement préservés et l’examen sensitif attentif met parfois en évidence une hypoesthésie thermo-algique isolée et distale, et une allodynie (d’ailleurs souvent retrouvée à l’interrogatoire). Pour certains, une atteinte minime, infraclinique, des fibres myélinisées de plus gros calibre est acceptable pour retenir le diagnostic de NPF (3). Les étiologies des NPF sont diverses, se partageant en causes métaboliques (diabète, éthylisme, etc.), inflammatoires (lupus, sarcoïdose, syndrome de Sjögren, etc.), ou même héréditaires (maladie de Fabry, etc.). Dans certain cas, le diagnostic de NPF idiopathique est cependant retenu faute de mieux.

Moyens diagnostiques des neuropathies à petites fibres.

L’électroneuromyogramme ne permet d’explorer que les grosses fibres myélinisées, conduisant rapidement l’influx nerveux, ce dont témoigne la normalité de l’examen au cours des NPF. Des techniques électrophysiologiques, tels les potentiels évoqués nociceptifs, ont été proposées pour explorer les petites fibres chez les patients ayant une neuropathie douloureuse. Ils semblent intéressants entre des mains entraînées (4). En outre, les résultats de cette exploration semblent relativement bien corrélés avec la perte en fibres nerveuses intraépidermiques (5). D’autres techniques relativement peu usitées, tel le testing sensitif quantifié, semblent avoir une utilité. Le versant dysautonomique bénéficie quant à lui de l’analyse du réflexe cutané sympathique (RCS), ainsi que de l’étude de variabilité de la fréquence cardiaque par l’étude de l’espace R-R.

Un anticorps dirigé contre la protéine PGP 9.5 permettant un marquage neuronal ubiquitaire.

La biopsie nerveuse (BN) permet d’analyser les fibres amyéliniques à condition d’utiliser systématiquement la microscopie électronique. Cependant, ce geste a de longue date été considéré comme trop invasif au regard de la sémiologie des NPF et, surtout, ne pouvait être envisagé comme simple test de confirmation de la réalité d’une atteinte des petites fibres. L’analyse de ces fibres nerveuses dans l’épiderme a été grandement facilitée par la mise en évidence d’un anticorps dirigé contre la protéine PGP 9.5, permettant un marquage neuronal ubiquitaire (6, 7). Depuis, de très nombreuses publications ont étudié l’innervation cutanée chez le sujet normal et chez des patients présentant des neuropathies douloureuses.

La biopsie cutanée est le plus souvent pratiquée sous anesthésie locale avec un emporte-pièce de 3 mm de diamètre permettant de prélever un fragment d’épiderme et de derme sous-jacent, d’une profondeur de 5 mm environ. Le prélèvement est fixé, congelé et coupé en tranches de 50 µm d’épaisseur avant d’être marqué à l’aide l’anticorps anti-PGP 9.5, puis observé au microscope. On visualise relativement aisément les fibres nerveuses sous-épidermiques, cheminant parallèlement à la surface de l’épiderme, et les fibres nerveuses intraépidermiques (FNIE) qui sont issues de ces plexus et cheminent de façon grossièrement perpendiculaire à la surface de l’épiderme. Par convention, ne sont comptées que les FNIE qui franchissent la jonction dermo-épidermique (figure).

Les résultats sont le plus souvent exprimés en nombre de FNIE par millmètres, les fibres étant comptées tout le long de trois échantillons séparés. La densité des fibres est habituellement analysée à la jambe (10 cm au dessus le la malléole externe) et à la cuisse (20 cm en dessous de l’épine iliaque). Cette densité doit être habituellement comparée aux densités obtenues chez des sujets sains de même âge avant de conclure à une perte significative de FNIE. La difficulté principale réside actuellement dans l’établissement de ces normes qui semblent en partie varier selon les laboratoires, les méthodes d’immunomarquage et les témoins choisis, alors que la méthode de comptage apparaît clairement comme fiable et reproductible.

La biopsie cutanée permet ainsi par la quantification directe des FNIE de confirmer un diagnostic de NPF. De nombreux développements récents ont porté d’une part sur la quantification de structures nerveuses dermiques (innervation des muscles pilo-érecteurs, des glandes sudoripares) et sur l’analyse du tissu interstitiel. Néanmoins, c’est surtout dans l’aide à la confirmation (ou à l’infirmation) du diagnostic de NPF, que la biopsie cutanée prend actuellement toute sa valeur.

*Service de Neurologie, CHU de Limoges.

(1) Brown MJ, Martin JR, Asbury AK. Painful diabetic neuropathy. A morphometric study. Arch Neurol 1976;33(3):164-71.

(2) Dyck PJ, Low PA, Stevens JC. "Burning feet" as the only manifestation of dominantly inherited sensory neuropathy. Mayo Clin Proc 1983;58(7):426-9.

(3) Lacomis D. Small-fiber neuropathy. Muscle Nerve. 2002;26(2):173-88.

(4) Creac’h C, Convers P, Robert F, Antoine JC, Camdessanche JP. Small fiber sensory neuropathies: contribution of laser evoked potentials. Rev Neurol (Paris) 2011;167(1):40-5.

(5) Casanova-Molla J, Grau-Junyent JM, Morales M, Valls-Sole J. On the relationship between nociceptive evoked potentials and intraepidermal nerve fiber density in painful sensory polyneuropathies. Pain 2011;152(2):410-8.

(6) Thompson RJ, Doran JF, Jackson P, Dhillon AP, Rode J. PGP 9.5--a new marker for vertebrate neurons and neuroendocrine cells. Brain Res 1983 14;278(1-2):224-8.

(7) Wang L, Hilliges M, Jernberg T, Wiegleb-Edstrom D, Johansson O. Protein gene product 9.5-immunoreactive nerve fibres and cells in human skin. Cell Tissue Res 1990;261(1):25-33.


Source : Bilan spécialistes