Le sommeil est une fonction vitale, pourtant de plus en plus malmenée. En France, la durée moyenne de sommeil des adultes ne cesse de diminuer, sous l’effet du stress, des écrans et des rythmes de vie toujours plus effrénés. Lors de la 25e journée du sommeil, qui s’est tenue le 14 mars, l’INCV (Institut national du sommeil et de la vigilance) a publié une étude révélant que 43 % des Français déclarent souffrir d’au moins un trouble du sommeil. Or au-delà des conséquences immédiates sur la concentration et la santé mentale, le manque chronique de sommeil pourrait aussi entraîner des répercussions bien plus graves à long terme.
Des études récentes suggèrent en effet un lien étroit entre la qualité du sommeil et le développement de maladies neurodégénératives, notamment la maladie d'Alzheimer. Le sommeil joue un rôle clé dans la construction du cerveau. Les écrans peuvent donc avoir un impact sur ce dernier. Ainsi, dans un contexte où les Français ont un moins bon sommeil, faut-il y voir un risque accru pour la santé cognitive des générations futures ?
L'importance du sommeil dans la construction du cerveau
Une particularité de l’espèce humaine est de naître avec un cerveau immature, dont le volume va quadrupler pour atteindre vers 7 ans son volume définitif. Cette croissance est surtout le fait des connexions à haut débit (la « substance blanche ») qui relient entre elles les zones cérébrales. C’est dans l’enfance et l’adolescence que nous constituons les réseaux neuronaux les plus solides comme le prouve le fait que ce sont les souvenirs les plus anciens qui résistent le plus longtemps chez les sujets atteints de maladie d’Alzheimer. Ces réseaux sont le support de notre mémoire, qui fait ce que nous sommes : souvenirs, connaissances, savoir-faire et aussi capacité à anticiper, fondée sur l’expérience.
Comment renforcer la formation de ce capital ? Il faut d’abord, bien entendu, maintenir en éveil la curiosité et fournir un enseignement de qualité ; mais celui-ci sera vain s’il n’est pas enregistré sous forme de connexions cérébrales. Or, même si les processus en sont encore mal compris, c’est pendant le sommeil que se constitue ce câblage qui stabilise nos connaissances. La nuit n’est pas simplement réparatrice, le sommeil construit nos savoirs. Il participe à la formation de la « réserve cognitive ». Plus riches et nombreuses seront ces connexions, plus notre cerveau sera armé pour faire face aux agressions qui le menacent tout au long de notre vie, y compris les maladies neurodégénératives et, en premier lieu, la maladie d’Alzheimer.
Peut-on affirmer que le sommeil protège de la maladie d’Alzheimer ? Les études épidémiologiques ne peuvent pas apporter une réponse précise tant sont nombreux les possibles facteurs confondants et la multiplicité des paramètres à prendre en compte. Cependant, outre son rôle dans la constitution de la réserve cognitive, de nombreux arguments expérimentaux suggèrent que le sommeil a aussi une fonction de nettoyage des déchets cérébraux accumulés lors de l’éveil et qui sont déterminants dans la maladie d’Alzheimer (1).
L'impact des écrans sur le sommeil et la cognition
Quand on évoque aujourd’hui le développement cognitif de l’enfant et de l’adolescent, on ne peut que s’inquiéter de la place prise dans leur vie par les écrans. Selon l’étude Santé publique France de 2022, ce temps est de près de 4 heures/jour chez les 6-10 ans, et de 6 heures/jour chez les 11-14. C’est du temps passé sur un contenu conçu pour être addictif, de qualité souvent discutable, sans la richesse du monde réel, et dont l’effet négatif sur l’attention a été démontré. C’est du temps souvent soustrait à celui qui pourrait être passé à des activités partagées, créatives, au sport et au sommeil. Qui plus est : l’exposition en fin de journée à la lumière des écrans inhibe la production de mélatonine, hormone inductrice et gardienne du sommeil. Rappelons que le temps de sommeil nécessaire à un enfant de 6 à 10 ans est de 9 à 12 heures par jour.
Un pilier de la prévention
L’enjeu est important : le déficit de sommeil est un sujet de santé publique. À la liste de ses effets néfastes, il faut ajouter un défaut de construction de la réserve cognitive. D’où une plus grande vulnérabilité aux maladies neurodégénératives. Bien entendu le sommeil ne se décrète pas mais une éducation au sommeil pourrait avoir sa place. Elle pourrait s’adresser à tous et en particulier aux parents avec, pour premier objectif, la lutte contre l’usage inconsidéré des écrans, particulièrement chez les plus jeunes. Les recommandations de l’Arcom semblent de bon sens avec une règle d’or : pas d’écran avant trois ans et un usage très progressif, sélectif et contrôlé par la suite.
Ce qui a été gagné en prévention par une meilleure action sur les facteurs de risque cardiovasculaires pourrait bien être perdu sur un autre terrain pour une génération en déficit de sommeil, comme hypnotisée par la lumière bleue des écrans et frénétique du zapping. Un excès de « connexions » en ligne nuit à la constitution d’un solide et riche câblage cérébral. Pour les jeunes générations aussi, la prévention c’est maintenant et elle passe par une meilleure attention à leur sommeil.
(1) Sommeil et maladie d’Alzheimer ; Syn’Alz, n° 1 février 2025, Fondation Recherche Alzheimer
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