Depuis les années 1990, les neurologues sont fréquemment confrontés à des malades difficiles à classer. Leurs symptômes en termes de perte de mémoire sont évocateurs d'une maladie d'Alzheimer (MA), mais l'évolution semble plus lente, avec des profils lésionnels essentiellement au niveau de l'hippocampe. Par la suite, et après l'arrivée des marqueurs biologiques de la maladie d'Alzheimer, des chercheurs ont observé une autre discordance en comparaison à la MA : taux normaux d'amyloïde bêta, de protéine tau totale ou de tau phosphorylée.
« 25 % de ces profils cliniques sont faussement nommés MA sans pour autant remplir tous les critères diagnostiques correspondants, précise le Pr Pierre Krolak-Salmon, du Centre Mémoire Ressources Recherche de Lyon et président de la Fédération des Centres Mémoire, ces cas posaient des problèmes nosologiques et diagnostiques ». Si le Pr Krolak-Salmon emploie l'imparfait de l'indicatif, c'est tout simplement parce que le consensus publié dans « BRAIN », vient enfin d'éclaircir cette entité. Un groupe d'experts réunis par les instituts nationaux de la santé américains apporte pour la première fois une définition précise de cette « nouvelle » maladie neurodégénérative : l'encéphalopathie à prédominance limbique TDP-43 liée à l'âge, ou LATE.
Relier les points
Dans leur article, les auteurs relient des observations de cliniciens, et les données neurobiologiques issues d'autopsies. Ils distinguent 3 stades de la maladie, caractérisés par l'étendue des régions atteintes par les lésions : d'abord l'amygdale seule (stade 1) rejointe par l'hippocampe (stade 2) et le gyrus frontal moyen (stade 3). D'un point de vue neurobiologique, LATE est liée à la présence de la version phosphorylée de la protéine TDP-43. Cette dernière intervient dans de nombreuses voies métaboliques, et reste normalement confinée dans le noyau. Depuis 2006, on sait qu'il existe une forme phosphorylée capable de pénétrer le cytoplasme, et associée à l'apparition d'une atrophie visibles à l'IRM. « Il reste à savoir si c'est un simple marqueur neuropathologique ou une cause de la maladie, ajoute le Pr Krolac Salmon, mais il existe des arguments génétiques en faveur de son rôle précoce dans la maladie ».
Pour ce qui est d'établir un diagnostic, « nos outils actuels ne nous permettraient de diagnostiquer que les formes isolées de LATE, estime le Pr Bruno Dubois, du Centre des maladies cognitives et comportementales (hôpital de La Pitié-Salpêtrière, AP-HP), ces dernières se caractérisent par un syndrome amnésique qui renvoie à une atteinte de l'hippocampe, sans présence de marqueur d'une pathologie cérébrale de type amyloïdose ou d'une neurodégénérescence liée à la protéine tau », explique-t-il.
Il n'est, en revanche, pas encore possible de diagnostiquer les nombreux cas de figure où LATE constitue une comorbidité d'autres maladies neurodégénératives : par exemple Alzheimer ou lésions vasculaires chez les patients de plus de 80 ans. On ne comprend pas encore bien pourquoi cette pathologie est associée à des profils « Alzheimer-like » chez les sujets les plus âgés, et à une sclérose latérale amyotrophique ou démence frontotemporale chez les plus jeunes (60 ans environ). « La mise au point d'un test capable de mesurer la présence de la forme modifiée de TDP-43 est la prochaine étape, espère le Pr Krolak-Salmon, on sait que les lésions TDP-43 constituent un facteur de plus mauvais pronostic dans les autres formes de démence ».
Des facteurs pronostiques importants
Pour les patients se présentant en consultation mémoire, il est important de pourvoir distinguer un LATE isolé d'un Alzheimer. « Le pronostic n'est pas le même, insiste le Pr Krolak-Salmon, la transition entre le déficit léger et le déficit important avec perte d'autonomie pourrait s'inscire sur une période de 7 à 8 ans au lieu de 3 ou 4 ans en moyenne pour des lésions de type Alzheimer. On peut aussi expliquer aux patients et à leurs familles qu'il n'y a pas de co-lésion vasculaire ».
Du point de vue de la recherche « cette nouvelle entité va nous obliger à revoir la manière dont on sélectionne nos patients, prédit le Pr Dubois, et peut-être recruterons-nous exclusivement des moins de 80 ans, âge d'apparition des lésions TDP-43 ». Le Pr Krolak-Salmon, entrevoit des conséquences sur l'interprétation des grands essais thérapeutiques : « Si on a recruté des patients cumulant lésions Alzheimer et lésions TDP-43, il est possible que des essais aient échoué en partie parce que l'on a pu agir efficacement sur les premières mais pas sur les secondes, explique-t-il. À l'avenir, nous serons peut-être amenés à concevoir des multithérapies ».
Une épidémiologie compliquée
Reste une question importante : combien de patients sont concernés ? Selon les auteurs de l'étude de BRAIN, des grandes séries d'autopsies ont permis d'évaluer à 20 % le pourcentage de patients de plus de 80 ans pouvant répondre au tableau typique d'une LATE. La traduction de ces lésions en symptômes neurologiques n'est pas systématique, et dépend notamment de la balance entre charge lésionnelle et réserve cognitive individuelle. Selon les données de cohortes collectées par les auteurs, un peu plus de 10 % seulement des patients ayant un protéinopathie TDP-43 développent effectivement des symptômes.
P T Nelson et al, BRAIN, doi.org/10.1093/brain/awz099, 30 avril 2019
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