Le rôle des glucocorticoïdes dans la prise en charge des néphropathies à IgA fait l’objet de controverses. En France, leur usage peut s’envisager dans les phases les plus actives et inflammatoires de la maladie en prenant en compte la fonction rénale, la protéinurie et les résultats de la biopsie rénale, seuls ou en association avec des traitements immunosuppresseurs. Leur efficacité est à mettre en balance avec des effets indésirables parfois graves. Mais, selon les résultats récents de l'étude chinoise Testing, des doses réduites de méthyl-
prednisolone par voie orale allient réduction du risque d’insuffisance rénale et moindre risque d’événements indésirables (1).
Bien qu’il s’agisse de la glomérulopathie la plus fréquente, la néphropathie à IgA reste une maladie rare, avec une incidence estimée à 2,5/100 000. Elle est liée à la formation d’agrégats d’anticorps IgA produits en trop grande quantité par les muqueuses des plaques de Peyer située au niveau de l’iléon. Ces anticorps migrent ensuite vers les reins où ils s’agrègent et détruisent les glomérules rénaux. « L’évolution est lente, 15 à 20 ans, mais c’est une maladie qui touche des sujets jeunes, dont on estime que 20 à 30 % ont un risque d’évolution vers des formes très sévères », explique au « Quotidien » le Pr Christophe Mariat, spécialiste de la maladie au service de néphrologie du CHU de Saint-Étienne. Le diagnostic, de même que l’évaluation du risque d’évolution, se fait à partir des éléments de la biopsie rénale.
Le caractère auto-immun de la maladie justifie l’usage des glucocorticoïdes. « Il y a quelques années, on utilisait une corticothérapie selon le protocole de Locatelli : une forte dose en injection intraveineuse tous les six à neuf mois, doublée d’une prise per os quotidienne », indique le Pr Mariat. Cette utilisation à forte dose des glucocorticoïdes a été fortement remise en cause par plusieurs travaux, dont l'étude randomisée contre placebo Stop-IgAN (2). Cet essai mené sur 162 participants avait montré que la prise orale de glucocorticoïdes était bien associée à une réduction de la protéinurie, mais sans différence significative en termes de fonction rénale. « Par la suite, il y a eu un mouvement pour mettre fin à la corticothérapie, mais des faiblesses méthodologiques laissaient un doute », se souvient le Pr Mariat.
Des fortes doses à haut risque d’effets indésirables
L’étude Testing à ses débuts partait d’un plus mauvais pied. Ses investigateurs, les équipes du premier hôpital universitaire de Pékin, avaient dû arrêter l’essai après avoir recruté les 262 premiers participants, des patients avec une protéinurie supérieure à 1 g/jour et un taux de filtration glomérulaire de 20 à 120 ml/min/1,73 m², traités par inhibiteurs du système rénine-angiotensine pendant au moins trois mois avant leur inclusion. Les investigateurs avaient constaté un excès d’effets indésirables : 20 dans le groupe méthylprednisolone, dont deux mortels, contre quatre dans le groupe placebo. Il s’agissait de pneumonies causées par un Pneumocystis jirovecii ou de méningite à cryptocoques.
Au bout d’un an et quatre mois, l’étude a repris son cours, mais avec un protocole différent : les doses de glucocorticoïdes ont été réduites à 0,4 mg/kg/jour, pour une dose maximale de 32 mg/jour, contre 0,6 à 0,8 mg/kg/jour au début de l’étude avec un maximum de 48 mg/jour. De plus, les patients se sont vus prescrire un traitement antibiotique prophylactique contre les Pneumocystis jirovecii pendant les 12 premières semaines de traitement.
Et cette fois-ci, les résultats sont au rendez-vous. Au total, 503 patients ont été recrutés et suivis pendant 4,2 ans en moyenne. Le critère principal d’évaluation était un déclin de 40 % du débit de filtration glomérulaire, l’entrée dans l’insuffisance rénale ou un décès en lien avec une insuffisance rénale. Ce critère d’évaluation composite était atteint par 28,8 % des patients du groupe méthylprednisolone contre 43,1 % du groupe placebo. La prise de glucocorticoïdes était associée à une diminution de moitié du risque de dégradation significative de la fonction rénale. Les chercheurs estiment que le risque d’événements en lien avec la diminution de la fonction rénale recule de 4,8 % par année de traitement.
Les effets indésirables étaient toujours significativement plus fréquents dans le groupe méthylprednisolone, mais l’essentiel de ce surrisque était attribuable à la fraction des patients qui ont reçu les doses les plus élevées. Ces résultats « démontrent que l’on obtient le même bénéfice avec des doses moins élevées de méthylprednisolone, au prix d’effets indésirables moindres », se félicitent les auteurs.
Des limitations à prendre en compte
« La messe n’est pas dite », remarque cependant le Pr Mariat, qui pointe du doigt la question de la généralisation des résultats. « Cette étude a été, pour l’essentielle, réalisée en Chine », explique-t-il. Ainsi, 75 % des patients sont chinois. « Or, on sait que les Asiatiques ont tendance à faire des formes plus sévères », détaille-t-il. À ce sujet, les auteurs insistent dans leur discussion sur le fait qu’ils n’ont pas observé de différence entre les patients chinois et non chinois recrutés dans leur étude.
Par ailleurs, les auteurs font remarquer que le monde a changé depuis l’inclusion du premier patient dans Testing en 2012. Notamment, de nouveaux traitements ont vu le jour et sont en cours d’évaluation. En décembre 2021, la Food and Drug Administration (FDA) américaine a autorisé une évaluation accélérée d’un traitement oral de budésonide spécialement destiné à réduire la production d’IgA1 spécifiquement au niveau de l’iléon où il est absorbé préférentiellement. « L’intérêt de cette formulation est qu’il y a très peu de passage systémique, et d’effets indésirables », ajoute le Pr Mariat.
D’autres immunosuppresseurs sont également sur les rails, à l’image du mycophénolate mofétil. « Initialement développé dans l’indication des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Mici), il a été utilisé avec succès dans la néphropathie en Chine », raconte le Pr Mariat. L’effet n’a pas été confirmé dans les essais incluant des patients européens ou américains.
(1) J. Lv et al, Jama, mai 2022. doi:10.1001/jama.2022.5368
(2) T. Rauen et al, N Engl J Med, 2015. DOI: 10.1056/NEJMoa1415463
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