C'est une somme colossale de données sur la médecine spatiale qui vient d'être publiée dans 26 articles parus simultanément dans les revues Nature Communications, Communication Biology, npj Microgravity, npj Women's Health et Communications Medicine. « Plus de 100 institutions issues de 27 pays ont collaboré à ce travail », salue Christopher Mason, professeur de physiologie et de biophysique à l'université Weill Cornell (New York). Toutes ces données, qui sont désormais compilées dans le Space Omics and Medical Atlas (Soma), fournissent une description exhaustive des effets des vols spatiaux, plus ou moins longs et plus ou moins éloignés de la Terre. Elles proviennent notamment du premier équipage entièrement civil de la mission Inspiration4 ainsi que de 64 astronautes aguerris ayant passé 180 jours ou un an à bord de la Station spatiale internationale.
« Nous avions jusqu’à présent très peu de données publiques sur les effets du voyage dans l'espace sur le corps humain, poursuit Christopher Mason. Ces articles représentent peut-être l'examen le plus complet jamais fait sur un équipage. » Les vols spatiaux sont connus pour induire des changements moléculaires, cellulaires et physiologiques chez les astronautes. Or ils tendent à se multiplier, tandis que des missions de plus en plus longues rapprochent le rêve d’une implantation humaine sur Mars de la réalité. La mission Inspiration4 est emblématique de cette évolution : son sponsor, le milliardaire Jared Isaacman qui faisait partie du voyage, voulait démontrer que l'espace est accessible à des personnes peu entraînées.
« Le message le plus important, est que beaucoup de changements, y compris des modifications des télomères et de la biochimie sanguine, reviennent à la normale en seulement quelques mois, résume Christophe Mason. Les cadres actuels de la médecine aérospatiale sont en retard par rapport aux avancées de la médecine de précision sur Terre, poursuit-il. C'est pourquoi il faut développer rapidement des bases de données, des outils et des protocoles de médecine spatiale. »
Un effet sur les cytokines et les télomères
Dans un des articles consacré aux modifications de l'immunité, les chercheurs constatent que les vols spatiaux de courte durée en orbite basse de la Terre entraînent des changements moléculaires de grande ampleur : niveaux élevés de cytokines, changement d'expression génétique compatible avec une activation du système immunitaire, et, ce qui est bien plus surprenant, allongement des télomères.
« Cette observation est à l'opposé de ce que nous nous attendions à trouver, explique Susan Bailey, chercheuse à l'université d’État du Colorado. La majorité des astronautes inclus dans notre étude sont restés dans l'espace pendant un an et six mois. Mais nous observons une élongation des télomères, y compris chez ceux qui n'ont fait qu'une mission de trois jours. Par ailleurs, nous décrivons aussi une augmentation des niveaux d'ARN transcrits à partir de ces télomères. »
Les changements d’expression génétique sont, pour l’essentiel, liés à une réponse aux dommages de l’ADN causés par les rayonnements et au stress oxydatif. Bien que plus de 95 % des marqueurs reviennent à leur valeur initiale dans les mois suivant la fin de la mission, les chercheurs constatent la persistance d'une activité importante de certains gènes pendant au moins trois mois. C'était notamment le cas des gènes codant pour l'alpha-synucléine (SNCA), le collagène (COL4A2) et des cytokines telles que CXCL8. « Ces dérégulations du système immunitaire ne doivent pas être confondues avec une dysfonction : nous ne savons pas à ce stade si ce que nous estimons être une réponse à la microgravité peut avoir des conséquences délétères sur la santé », prévient Christopher Mason.
Nous pourrions donc sans risque aller jusqu'à Mars ? Rien n'est moins sûr. Une des études menées chez la souris conclut qu'au bout de l'équivalent de 2,5 années d'exposition à l'espace, des lésions rénales permanentes apparaissent. « Même si un astronaute peut se rendre sur Mars, il pourrait avoir besoin d'une dialyse au retour », commente l'auteur principal d'une des études, Keith Siew, du London Tubular Centre. « Cette étude est très importante, insiste Afshin Beheshti du Blue Marble Space Institute of Science et du centre de recherche Ames de la Nasa. Car si un calcul rénal se soigne facilement sur Terre, ce n’est pas aussi facile à mi-chemin de Mars. C’est un risque qu’il faudra correctement évaluer. »
Les femmes, des voyageuses spatiales plus résistantes ?
Dans un autre article de Nature, le Pr Mathias Basner et Christopher Mason se sont concentrés sur les données de la mission Inspiration4 : quatre astronautes commerciaux ayant passé trois jours à 575 km au-dessus de la Terre, soit plus haut que la Station spatiale internationale (qui orbite entre 370 et 460 km au-dessus de la Terre). L’intérêt de cette mission est qu'elle embarquait de nouveaux équipements et dispositifs de diagnostic, notamment l'Apple Watch, l'appareil d'imagerie à ultrasons Butterfly iQ+ et un immuno-essai à flux vertical. Les chercheurs ont pu relever heure par heure les données caractéristiques des premières phases d'adaptation au vol spatial. « Une vraie mine d'or », se réjouit Afshin Beheshti.
Ces données issues d’Inspiration4 ont par exemple permis de montrer que les femmes reviennent plus rapidement à leur état précédant le décollage. Elles présenteraient de moindres modifications relatives à la coagulation sanguine et à la régulation du système immunitaire que les hommes. Toutefois, la petite taille de l’échantillon (deux hommes et deux femmes) ne permet pas de tirer des conclusions définitives.
Le catalogue des articles de Soma explore également les changements épigénomiques et transcriptomiques, la dynamique du microbiome de l'équipage et du vaisseau spatial, les changements protéomiques et métaboliques dans le sécrétome et les exosomes, les réponses mitochondriales, les considérations éthiques, et les contre-mesures à mettre en place pour atténuer tous ces changements.
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