« Finalement, on a eu de la chance, lance le Pr Jean-Paul Mira, chef de service en réanimation à l’hôpital Cochin (AP-HP). Cette crise a été causée par un virus qui ne menace pas les enfants et qui ne concerne que le poumon. Nous n'aurions pas pu assurer autant de soins critiques s'il avait fallu faire des dialyses en très grand nombre. »
Les experts européens réunis en conférence par l'Agence nationale d'appui à la performance (Anap) ne s'y trompent pas : la souplesse dont ont fait preuve les hôpitaux au plus fort de la crise Covid a permis de répondre aux besoins de soins critiques, mais au prix de l'épuisement des équipes et de l'interruption des soins dans les autres services.
Pour le Pr Olivier Joannes-Boyau, chef du pôle anesthésie-réanimation au CHU de Bordeaux, « il va falloir revoir notre vision de "l'hôpital entreprise" qui met une pression folle sur les hôpitaux et empêche toute flexibilité ». La course à la rentabilité « a forcé les soins critiques à viser un taux d'occupation de 90 % ». Un taux plus raisonnable de 75 à 80 % lissé sur l'année laisserait le temps aux équipes de souffler et aux infirmières la possibilité de s'investir dans la recherche, ce qui les inciterait à rester, poursuit-il.
Une réserve sanitaire
Autre constat : il y a urgence à recruter et former des professionnels de santé. « Les études montrent que le ratio idéal est un médecin réanimateur pour six à sept patients, et une infirmière pour un patient si elles sont seules dans le service ou une infirmière pour 1,5 à 2 patients s’il y a aussi des aides-soignantes, résume le Pr Joannes-Boyau. Si l'on dépasse une infirmière pour 2,5 patients, la mortalité augmente en soins critiques. » Or, le seuil en France est précisément à une infirmière pour 2,5 patients actuellement, souligne-t-il.
Pour le Pr Marc Leone, chef de service d'anesthésie-réanimation à l'hôpital Nord de Marseille, il ne servirait à rien d'augmenter indéfiniment le nombre de réanimateurs. « En revanche, il serait intéressant de constituer une réserve sanitaire composée de médecins et d'infirmières travaillant dans d'autres secteurs, formés une semaine par an aux soins critiques pour être mobilisables en cas de crise », tempère-t-il. Une idée pour « gagner en flexibilité » que partage le Pr Joannes-Boyau, tout en demandant à « augmenter le nombre d'infirmières ».
Soins critiques à distance et disponibilités en temps réel
Des expériences de « Remote ICU » (suivi de soins critiques à distance) sont en cours pour ajouter encore davantage de souplesse. « Le hasard a voulu qu'en 2020, nous venions juste de conclure une étude de cohorte sur plus de 10 000 patients au moment où la crise du Covid a explosé », se souvient le Pr Gernot Marx, directeur des soins intensifs chirurgicaux au CHU d’Aix-la-Chapelle, en Allemagne. Le groupe de spécialistes a été mobilisé pour mettre en place un hôpital virtuel dans lequel les expertises étaient mises en commun pour assurer le suivi des patients. Certains avaient par exemple une expertise en maladies rares, d'autres en réanimation pédiatrique.
Dans le reste de l'Europe, d'autres exemples de dispositifs pourraient faire école. Le Dr Michael Power, médecin consultant de l'hôpital Beaumont en Irlande, a décrit un système de collecte de données issues en temps réel de 26 hôpitaux, qui renseignaient en permanence le nombre de lits et de personnels spécialisés disponibles en soins critiques.
« Tout le monde y avait accès, y compris le grand public ou les politiques, insiste le Dr Power. Au cours des années précédentes, 11 services de soins critiques avaient fermé faute de patients. » L'outil a ainsi permis de les rouvrir très rapidement. « Il a aussi été utilisé pour affecter les patients en fonction de leurs besoins, indique le médecin irlandais. Par exemple, tous les centres ne disposaient pas de système de dialyse. » Ce dispositif a également été mis à profit pour assurer une bonne répartition de l'alimentation des hôpitaux en oxygène.
Cette expérience menée à l'échelle de l'Irlande et de ses cinq millions d'habitants pourrait être exploitée au niveau régional dans d'autres pays plus vastes et peuplés, comme la France. Mais la route est encore longue : « Dans les hôpitaux français, nous ne sommes même pas en mesure de savoir quelles sont les infirmières qui ont travaillé en réanimation. Si nous voulons établir une réserve sanitaire, il nous faut ce genre d'information », déplore le Pr Mira, qui travaille en ce moment à un projet de registre français des spécialistes des soins critiques, sachant que l'Allemagne en a aussi déployé un de ce type.
Une définition commune
Mais avant toute chose, la remise à niveau et la coordination des capacités européennes et régionales en termes de soins critiques se heurtent à l'hétérogénéité de leurs définitions, illustrée en 2020 par un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). « Nous avons des données sur le nombre de services de soins critiques dans les différents pays, mais nous n'avions pas d'information sur leurs réelles capacités de soins », explique le directeur du département Santé de l'OCDE, David Morgan.
En Angleterre, le National Health Service (NHS) regroupe les patients en quatre catégories, allant de 0 (patients dont les besoins peuvent être assurés dans un service d'hospitalisation classique) à 4 (patients ayant besoin de soins intensifs). En Allemagne, la distinction se fait entre soins de « faible niveau » et de « haut niveau », alors qu'en France, on classe les unités de soins critiques entre réanimation, soins intensifs et surveillance continue. L'Estonie pour sa part compte aussi les lits de réanimation pédiatrique. En naviguant à travers ces définitions, « nous sommes arrivés à une évaluation de l'ordre de 14 lits de réanimation pour 100 000 habitants en 2019 », explique David Morgan.
Au cours de la pandémie, les données préliminaires montrent une augmentation des capacités de lit de l'ordre de 8 % dans les pays ayant fourni des données. L'Italie, le Portugal et la Turquie galopent en tête, avec une augmentation de 30 % du nombre de lits en soins critiques en 2020, par rapport à 2019. L'OCDE demande désormais à ces membres de fournir le nombre de lits et le taux d'occupation moyen au cours de l'année, mais « peu de pays sont encore en mesure de donner ce genre d'information », reconnaît David Morgan. L'OCDE devrait produire prochainement un rapport avec les chiffres actualisés.
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