ÉDITORIAL

Je me souviens

Publié le 27/05/2013

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Je me souviens des années 80, les médecins guérissaient toutes ou presque les maladies infectieuses. Les patients étaient pris dans la filière hospitalière traditionnelle, consultants interchangeables, personnel soignant « anonymisé », hospitalisés, soignés, guéris…

Je me souviens avoir assisté en quelques mois à l’écroulement du monde des infectiologues.

Je me souviens de l’apparition d’une maladie infectieuse inconnue, frappant essentiellement les homosexuels puis les transfusés, et de la mort de mes malades.

Je me souviens… de m’être mis à parler avec eux, à les écouter, à essayer de comprendre leur mode de vie, leurs habitudes sexuelles. Sur la maladie, ils en savaient autant que nous.

Et notre « patientèle », cette cohorte inerte, s’est muée en corps actif : les associations de patients activistes étaient nées. Ainsi s’est constitué un lobby redoutablement efficace, qui a obtenu les essais thérapeutiques et les mises sur les marchés plus rapides que tout ce que nous pouvions obtenir.

Je me souviens comment en une dizaine d’années, nous avons connu l’essentiel du virus, de sa pathogénie et découvert les premiers traitements de ce mal qui répandait la terreur. Je me souviens des médecins les larmes aux yeux dans cette salle du Sheraton de Washington, en 1995, au vu des premiers résultats des antiprotéases.

Je me souviens de ces patients qui à chaque consultation me disaient : « Il faut que je tienne ! » Ils voulaient dire : jusqu’à l’apparition des traitements. Je me souviens de tous et plus particulièrement de Laurent, de William, d’Agnès, qui ressemblait au Printemps de Botticelli, tous morts avant leur heure. Je me souviens de ceux qui ont survécu et que je suis toujours. Je me souviens des chercheurs et des industriels à qui nos patients doivent la vie.

Dr GÉRARD KOUCHNER