Dans la foulée de l’avis positif du Comité européen des médicaments à usage humain (CHMP) de l’agence européenne des médicaments (EMA), la Commission européenne a donné, le 17 décembre, son feu vert à l’utilisation de l’anakinra dans le traitement du Covid-19. Cette autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne est une « fierté », réagit auprès du « Quotidien » la Dr Corinne Gandossi, directrice médicale du laboratoire suédois Sobi (Swedish Orphan Biovitrum) qui commercialise l’anakinra sous le nom de Kineret depuis 2003.
Un repositionnement initié dès la première vague
Les équipes de ce laboratoire spécialisé dans les maladies rares et orphelines (principalement en hématologie et immunologie) se sont interrogées dès la première vague sur l’intérêt d’un repositionnement de leur immunomodulateur - un inhibiteur de l'interleukine-1α/β (IL-1α/β) - pour la prise en charge des cas de Covid-19. D’abord indiqué dans la polyarthrite rhumatoïde, il est aujourd’hui recommandé dans des indications plus rares comme la fièvre méditerranéenne familiale ou les syndromes périodiques associés à la cryopyrine (Cryopyrin-Associated Periodic Syndromes ou CAPS).
« Rapidement, nous avons exploré le rôle potentiel de Kineret dans la cascade inflammatoire observée chez les premiers patients hospitalisés pour Covid-19. Comme d’autres immunomodulateurs, il méritait d’être envisagé pour freiner la phase d’orage cytokinique », explique au « Quotidien » Sébastien Le Roux, directeur général de Sobi en France et en Belgique.
À côté de sa capacité à traiter des pathologies auto-inflammatoires, un autre élément laissait supposer une possible efficacité de l’anakinra dans le traitement du Covid-19. « Nous avons établi un parallèle avec les syndromes d'activation macrophagiques observés après maladies inflammatoires ressemblant à l'orage cytokinique dans le Covid-19, suggérant un mécanisme similaire », ajoute la Dr Gandossi.
L’hypothèse de l’anakinra pour agir sur l'orage cytokinique a ainsi rapidement été testée. En France, un essai contrôlé randomisé, Anaconda-Covid-19, a été lancé en avril 2020 au CHRU de Tours chez des patients hospitalisés présentant notamment une aggravation des symptômes respiratoires.
Mais l’essai a été suspendu en octobre 2020, à la suite d'une information de sécurité de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), alertant sur une surmortalité précoce dans le groupe traité par anakinra, mise en évidence par une revue intermédiaire. En décembre 2020, après analyse des données de l’essai, l’ANSM a levé la suspension. L’essai tourangeau n’a pourtant pas repris.
Le suPAR, un marqueur prédictif de l’évolution de la maladie
En parallèle, des travaux indépendants menés par l’équipe du Pr Evangelos J. Giamarellos-Bourboulis de l’Institut du sepsis d’Athènes ont d'abord permis d’évaluer le suPAR (récepteur soluble de l'activateur du plasminogène de l'urokinase) comme un marqueur prédictif de l’évolution de la maladie vers une insuffisance respiratoire sévère ou le décès. Le taux sérique de cette protéine libérée durant les périodes d'inflammation chronique augmente plus tôt que d'autres biomarqueurs, comme la protéine C-réactive (CRP), l'interleukine (IL)-6, la ferritine et les D-dimères, expliquent les chercheurs, dans une étude publiée dans « Critical Care » en avril 2020.
À partir de ces résultats, ils ont initié un traitement ciblé précoce avec l'anakinra chez des patients hospitalisés, identifiés par un suPAR plasmatique ≥ 6 ng ml−1. L'étude de phase 2 SAVE a montré une baisse de 70 % du risque relatif de progression vers une insuffisance respiratoire sévère et une réduction significative de la mortalité à 14 jours avec le traitement par l’anakinra par rapport aux soins standard.
Cette première étude a été suivie d’un essai contrôlé randomisé en double aveugle de phase 3 sur un traitement précoce par l’anakinra guidé par suPAR. L'étude Save-More, publiée dans « Nature Medicine » en septembre dernier, a ainsi porté sur 594 patients risquant d'évoluer vers une insuffisance respiratoire, identifiés également par un suPAR plasmatique ≥ 6 ng ml−1, dont 85,9 % recevaient de la dexaméthasone.
Administrée en sous-cutanée pendant 10 jours, l’anakinra a montré une « efficacité considérable », jugent les auteurs. « La probabilité d'un résultat clinique plus mauvais au 28e jour avec l'anakinra, par rapport au placebo, était de 0,36 », relèvent-ils, soulignant un bénéfice clinique apparent dès le 14e jour. « La diminution relative de la mortalité était de 55 % et a atteint 80 % pour les patients présentant probablement un orage cytokinique », poursuivent-ils.
Des stocks suffisants pour la vague à venir
C’est sur ces résultats que se sont appuyées les autorités européennes pour autoriser l’anakinra dans le traitement du Covid-19. « C’est aujourd’hui le premier traitement personnalisé, pour lequel la réponse peut être anticipée par un marqueur simple », se félicite la Dr Gandossi, pointant l’absence de différences relevées entre les groupes sur les effets indésirables. « C’est un médicament très ciblé qui n’amène pas de risque supplémentaire pour les patients », appuie-t-elle.
Autre source d’espoir, l’efficacité de l’anakinra ne semble pas menacée par l’émergence de nouveaux variants. « Tant que le tableau clinique reste le même, l’efficacité n’est pas remise en cause, assure Sébastien Le Roux. Car le traitement n’agit pas sur le virus, mais sur la phase inflammatoire ».
Fort de son AMM européenne, Sobi va soumettre aux autorités françaises un dossier complet auprès de la commission de transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) dès « cette semaine ou la semaine prochaine », indique Sébastien Le Roux. Dans le contexte d’urgence actuel où l’agence a considérablement réduit ses délais d’examen, l’autorisation pourrait intervenir « dans les semaines à venir », espère-t-il.
Déjà commercialisé, le médicament pourrait ainsi être disponible rapidement. « Notre objectif est clair, c’est la mise à disposition le plus vite possible pour le plus grand nombre de patients éligibles de Kineret dans cette nouvelle indication, afin de participer à soulager la pression hospitalière », insiste le directeur général de Sobi en France. Alors que le laboratoire n’entend pas demander un changement de prix, Kineret pourra être remboursé dans cette nouvelle indication très rapidement en France, espère-t-il encore, assurant que « les stocks sur le territoire sont suffisants pour couvrir les besoins en France ».
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024