Mise en cause pour sa prise en charge d’une patiente transgenre, une gynécologue bretonne gagne face au Conseil de l’Ordre

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Publié le 25/10/2021
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Crédit photo : PHANIE

En septembre 2018, la docteur M., gynécologue à Rennes reçoit une jeune femme transgenre, à l'état civil masculin, qui souhaite recevoir une hormonothérapie féminisante. Des patchs oestrogéniques et un progestatif per os sont prescrits à la patiente de 20 ans pour entamer sa transition. Seulement, deux semaines plus tard, la mère de la jeune femme envoie un courrier au Conseil national de l’Ordre des médecins, « s’interrogeant sur la prise en charge » de sa fille. Fin novembre 2018, la gynécologue finit par faire l’objet d’une convocation de l’Ordre d’Ille-et-Vilaine, lui intimant de justifier sa prescription médicale.

Spécialisée dans la prise en charge des patients transgenres - à raison d’une dizaine de consultations par semaine - la praticienne bretonne reçoit ensuite une plainte du CNOM pour manquement à la déontologie médicale. L’Ordre s'étonne notamment que « sa patientèle soit constituée d’hommes », peut-on lire sur la décision de la chambre disciplinaire de Bretagne, qui a instruit l’affaire et dont le verdict a été rendu en octobre 2021. Un choix en contradiction avec ses engagements de gynécologue qui, selon l'Ordre, ne l’obligerait qu’à recevoir des femmes.

Second grief : l’Ordre affirme que l'hormonothérapie, comme celle reçue par la jeune patiente, ne devrait être prescrite que par des endocrinologues. « En prescrivant des traitements relevant de la compétence des spécialistes en endocrinologie et maladies métaboliques, ce médecin n’a pas respecté son engagement d’exercer exclusivement la spécialité de gynécologie-obstétrique », soutient la plainte du CNOM. Enfin, l’Ordre reproche à la praticienne de ne pas avoir respecté les recommandations de la HAS, datées de 2009, sur la prise en charge des patients trans, imposant notamment une visite préalable chez un psychiatre et une décision « collégiale ».

Liberté de prescrire

Membre du Réseau Santé Trans, réunissant association de patients et professionnels de santé, la gynécologue reçoit le soutien de nombreux confrères. Plus de 200 médecins généralistes, psychiatres, sages-femmes ou gynécologues de toute la France signent ainsi une lettre de défense de la docteur M., envoyée au CNOM. Dans la foulée, une cagnotte est également ouverte pour l’aider à payer ses frais d’avocat.

La chambre disciplinaire finit par lui donner raison sur les trois points reprochés par le CNOM. En effet,selon la docteur M., les recommandations sur lesquelles se base le CNOM auraient été « caduques ». Et la juridiction finit ainsi par confirmer qu’il n’y a pas de manquement déontologique de la praticienne, ni sur le fait de recevoir des hommes en tant que gynécologue, ni à prescrire une hormonothérapie, ni à considérer les recommandations de la HAS comme obsolètes pour y adapter sa pratique en fonction des données de la science. 

Une « triple victoire », pour le Réseau Santé Trans, mais qui souligne que le raisonnement du CNOM « est un puissant facteur de discrimination de l’accès au système de soin pour les personnes trans et en contradiction avec les recommandations médicales internationales ». L’association affirme, par ailleurs, que l'Ordre « fait preuve de son incapacité à saisir les enjeux de santé liés aux personnes trans et intersexes. Car si les gynécologues ont, comme tout médecin, le droit de prendre en charge des hommes comme des femmes, leur spécialité bénéficie d’une compétence explicite et documentée pour les hommes, par exemple pour la primoprescription de testostérone en cas d’intersexuation ».

Avertissement

La gynécologue, qui se défend de « ne servir aucune cause militante particulière », affirme ne « se soucier que de la santé de ses patients ». Par ailleurs, l’accompagnement des personnes trans permettrait « non seulement d'éviter le recours à des hormonothérapies sauvage avec un trafic de médicament bien connu de tous les intervenants professionnel auprès des personnes transgenres, mais encore parfois le suicide de ces personnes souvent fragiles », explique-t-elle, selon le compte rendu de l'audience de la chambre disciplinaire.

Malgré tout, la victoire reste en demi-teinte. Car la praticienne écope tout de même d’un avertissement de la part de la chambre disciplinaire, qui lui reproche d’avoir entamé la prescription d'une hormonothérapie dès la première consultation avec la patiente, sans lui accorder de délais de réflexion.

La docteur M. a donc décidé de faire appel de cette décision auprès de l’Ordre. « Nous ne pouvons tolérer, de la part de l’Ordre des Médecins, ces tentatives de dissuader et de délictualiser l’accès aux soins de santé spécifiques des personnes trans », poursuit le Réseau Santé Trans. En octobre 2020, une affaire similaire avait été jugée cette fois-ci devant la chambre disciplinaire de l’Ordre d’Occitanie. Et une fois de plus, suite au signalement de la famille d'un patient. Après avoir pris en charge un patient trans, un psychiatre avait écopé d’une interdiction d’exercice d’un mois.


Source : lequotidiendumedecin.fr