Alors qu'une vingtaine de naissances après greffe utérine ont été rapportées dans le monde depuis 2014, la première naissance française a eu lieu à l'hôpital Foch de Suresnes le 12 février dernier. La mère, Déborah, née sans utérus en raison d'un syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser, avait reçu l'utérus de sa mère le 31 mars 2019. Le Pr Jean-Marc Ayoubi, chef de service de gynécologie-obstétrique et médecine de la reproduction de l’hôpital Foch, revient sur cette prouesse médicale et les avancées scientifiques qu'elle a permises.
LE QUOTIDIEN : La patiente avait reçu l'utérus de sa mère le 31 mars 2019. Pourquoi un tel délai entre la transplantation et la naissance ? Et comment se porte l'enfant ?
Pr JEAN-MARC AYOUBI : Le délai est habituellement d’un an entre la greffe et le transfert d'embryon pour s'assurer que le greffon n'est pas rejeté sur le plan immunologique. Normalement, le transfert aurait dû avoir lieu fin mars-début avril 2020, mais nous étions alors en plein confinement et les centres d'assistance médicale à la procréation (AMP) étaient fermés. L'activité a repris fin juin et le transfert a pu avoir lieu au mois de juillet. La première tentative a été un succès.
L'enfant, né au terme d'une grossesse de 33 semaines, se porte bien. La patiente a développé pendant sa grossesse une hypertension artérielle ainsi que des contractions douloureuses qui nous ont conduits à programmer la naissance, l'enfant ayant un poids normal pour l'âge (1 845 g). Nous suivons évidemment le bébé, la mère et la donneuse, ici la grand-mère, pendant plusieurs mois.
Concernant le suivi pédiatrique, nous relevons toutes les informations médicales concernant le bébé et échangeons avec nos collègues des différentes équipes internationales. Il existe une base de données permettant de suivre tous les enfants nés après greffe d'utérus.
Avec votre équipe, vous avez développé une expertise dans le domaine de la chirurgie robotique. Avez-vous eu recours à cette approche pour le prélèvement de la donneuse ?
Oui, bien sûr, cette technique de chirurgie mini-invasive robot-assistée a été développée chez nous à l’hôpital Foch. Nous avons partagé notre expertise avec nos amis suédois , avec qui nous travaillons en étroite collaboration depuis plus de dix ans et qui ont adopté cette technique pour leur deuxième série de greffes. Nous avons participé à la première intervention réalisée à Göteborg grâce à cette technique, ainsi qu'à toutes celles qui ont suivi. La chirurgie mini-invasive robotisée est uniquement utilisée pour le prélèvement pour le moment, mais nous espérons pouvoir y recourir pour la transplantation également à l’avenir.
L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) vous a donné l'autorisation en 2017 de mener un protocole de recherche sur dix greffes à partir de donneuses vivantes. Déborah est la première à avoir été greffée. Quand sont prévues les autres greffes ?
Nous avons des critères de sélection très rigoureux, afin d'éliminer les patientes qui présentent un facteur de risque supplémentaire et donc de diminuer le risque de complication. Nous avons ainsi exclu les patientes ayant un diabète, une hypertension, une maladie auto-immune, celles ayant déjà été opérées… Nous avons rencontré près de 250 couples donneuses-receveuses pour en choisir une vingtaine, pour lesquels une deuxième phase d'exploration a été réalisée. Finalement, nous n'avons retenu que cinq couples, et Déborah est la première à avoir reçu la greffe. Une autre de ces patientes devrait bénéficier de la greffe à échéance d'un an. Et notre procédure de sélection se poursuit.
Un protocole de cette nature revêt une dimension à la fois psychologique, éthique, médicale, chirurgicale et anesthésique. Au-delà des explorations médicales, les patientes et les donneuses doivent confirmer leur choix devant un comité indépendant de l'équipe de recherche. Un délai de trois mois de réflexion est ensuite prévu, avant de confirmer de nouveau leur choix.
Crédit photo: Virginie Bonnefon
Au-delà de cette naissance, quelles avancées scientifiques ont été permises par cette aventure ?
Cette prouesse médicale est le fruit du travail de recherche de près de 15 ans d'une équipe d'une vingtaine de personnes et de nombreuses collaborations avec plusieurs équipes européennes, en particulier avec celle du Pr Brännström. Plusieurs thématiques de recherche ont pu être développées dans ce cadre autour de l'AMP et de la greffe à Foch : implantation, fécondation in vitro, aspects immunologiques de la greffe, traitements immunosuppresseurs, perfusion des greffons, dépistage du rejet du greffon (identification de biomarqueurs)… Cette aventure a notamment donné lieu à plusieurs thèses de doctorat en médecine, de thèses d’université (PhD) et de master 2 ainsi qu'à plus de 25 publications internationales référencées.
L'expertise de l'hôpital Foch dans le domaine de la greffe nous a par ailleurs beaucoup apporté. À la maternité, nous avons suivi de nombreuses patientes qui ont été enceintes après une greffe rénale, pulmonaire ou cardiaque. Nous avons ainsi développé une expertise dans le domaine des immunosuppresseurs adaptés à la grossesse, du suivi des patientes et du suivi des bébés.
Quel est le grand enjeu des prochaines années ?
Nous avons développé à Foch une technique qui a permis d'améliorer la technique chirurgicale princeps. L'enjeu aujourd'hui est d'améliorer encore davantage cette technique afin de la rendre plus simple, moins invasive, plus courte et qu'elle soit à la portée de plusieurs équipes médicales et chirurgicales. Nous y travaillons avec des équipes internationales. Des améliorations ont notamment déjà été permises en termes de durée d'intervention et de qualité de l'utérus après prélèvement.
Nous ne souhaitons pas que cette technique reste l'apanage de quelques équipes dans le monde. La science doit être transmise et diffusée pour que d'autres équipes s'intéressent au sujet et réalisent cette intervention, afin d'en faire bénéficier de nombreuses patientes.
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