Les recommandations de l’HAS de septembre 2011 indiquaient que la chirurgie bariatrique n’a pas d’indication dans la prise en charge de l’obésité de l’enfant et de l’adolescent. Et pourtant cette chirurgie se développe de plus en plus, à l’instar de celle de l’adulte.
QM. Que pensez-vous de la prise de position de l’HAS ?
Pr Patrick Tounian. Ce sont de mauvaises recommandations. Personne ne les suit (heureusement !) et je recommande de ne pas les suivre. Il faut dire que la chirurgie bariatrique est parfois pratiquée par des mains inexpertes ou sans préparation préalable de l’adolescent, ce qui peut justifier la prudence de l’HAS, notamment chez l’enfant de moins de 12 ans qui ne doit pas être concerné par ce type de chirurgie, hors cas exceptionnel. Chez l’adulte, elle se pratique depuis plusieurs décennies et son efficacité sur un suivi d’au moins dix ans est très nettement supérieure à celle du traitement médical. En France, quelques centaines d’adolescents en ont bénéficié.
QM. Quels adolescents opérer et quelle technique adopter ?
Pr P.T. Les recommandations américaines la préconisent chez les adolescents qui ont un IMC› 35 et présentent une comorbidité grave (diabète, apnée du sommeil, hypertension intracrânienne) ou un IMC› 40 avec des comorbidités moins graves, notamment une diminution de la qualité de vie.
Trois techniques sont employées : le by-pass, la sleeve-gastrectomie et l’anneau gastrique. À mon avis, l’anneau gastrique est bien trop souvent adopté ; il ne devrait l’être que très ponctuellement.
C’est une mauvaise intervention qui certes est réversible mais qui n’a pas d’efficacité dans le temps et qui présente beaucoup de complications non pas immédiates mais à long terme. Elle est très pratiquée car elle est techniquement beaucoup plus simple. Mais l’objectif n’est pas que n’importe qui puisse traiter des adolescents, il est de proposer à l’adolescent la technique la plus recommandée. La plupart des grandes équipes de chirurgie de l’adulte ont abandonné l’anneau gastrique. Pourquoi nous, pédiatres qui avons du retard dans ce domaine, reprendrions-nous une technique que les chirurgiens de l’adulte ont abandonnée ? Sauf évidemment sur quelques cas qui restent marginaux. Les deux autres interventions sont les techniques de choix. Le by-pass bénéficie du recul de l’expérience américaine et montre des résultats et des complications identiques à ceux de l’adulte avec une mortalité rapportée moindre chez l’adolescent que chez l’adulte. La sleeve est plus récente avec un recul moins long et une efficacité un peu inférieure à celle du by-pass mais supérieure à celle de l’anneau.
Quelles sont les complications de cette chirurgie ?
Pr P.T. Les complications thromboemboliques sont communes aux trois techniques mais sont beaucoup plus rares que chez l’adulte. En cas de by-pass ou de sleeve, on craint surtout la fistule, rare mais grave.
L’anneau gastrique est suivi d’un peu moins de complications immédiates mais les travaux ne sont pas très concluants en pédiatrie. En revanche, les complications à quelques années, mis à part les problèmes nutritionnels, n’existent quasiment plus avec le by-pass et la sleeve alors qu’elles apparaissent avec l’anneau gastrique (dilatations gastriques et même quelques cas exceptionnels et gravissimes de fistule avec l’aorte).
QM. Quels sont les effets de la chirurgie sur la satiété ?
Pr P.T. Chez l’adulte, mais aussi chez l’enfant, on a montré que les mécanismes compensatoires visant à stimuler la faim se mettent en place uniquement après un anneau gastrique, mais pas après la sleeve ou le by-pass. Les patients décrivent ainsi une sensation bizarre mêlant satiété et faim après un anneau. C’est une des raisons pour lesquelles ils craquent parfois et se mettent à consommer notamment des produits glacés hypercaloriques qui franchissent l’anneau sans problème et qui satisfont leur faim.
Avec la sleeve et le by-pass on change la vie des enfants. Il faut dire qu’on s’occupe d’enfants qui ont parfois des obésités monstrueuses. On voit des enfants de 15 ans qui pèsent jusqu’à 180 kg se transformer sous nos yeux.
QM. La chirurgie n’est pas isolée dans le temps. Il y a probablement un temps de préparation et un suivi strict.
Pr P.T. Il est effectivement très important de préparer la chirurgie. Et là, l’HAS a raison ! Dans notre
service la durée de la préparation est d’au moins 6 mois et en général de 1 an. L’adolescent doit montrer qu’il est capable de suivre des recommandations diététiques car il devra s’y soumettre après la chirurgie et doit suivre une préparation éducationnelle. Nous organisons à l’hôpital Trousseau, des réunions de groupe, supervisées par un médecin, une psychologue et un diététicien, avec un adolescent qui a été opéré et des patients qui vont être opérés. Ce type de réunion motive les jeunes et évite l’inflation, ce qui va dans le sens de la HAS.
Après la chirurgie, il est nécessaire que l’adolescent suive un régime spécial pendant 8 semaines, les repas doivent être mixés au début puis les morceaux d’aliments sont réintroduits progressivement. Des compléments nutritionnels sont prescrits à vie, ce qui pose problème chez des adolescents qui sont ravis de maigrir mais qui n’ont pas envie d’absorber des comprimés toute leur vie et qui souvent ne les prennent plus. C’est d’ailleurs un argument pour les chirurgiens adeptes de l’anneau car dans ce type d’intervention, les risques de carences nutritionnelles sont moindres.
Il faut aussi qu’ils évitent les boissons gazeuses et l’alcool qui est absorbé plus rapidement en cas de by-pass et de sleeve, ceci pouvant être source de coma éthylique.
Enfin, une contraception est systématiquement prescrite chez l’adolescente deux mois avant l’intervention et poursuivie après. Car la grossesse non désirée fait partie des complications possibles chez une jeune fille qui change complètement de physique, qui est plus sûre d’elle, qui n’avait pas l’habitude d’avoir des rapports et qui devient plus fertile en maigrissant.
D’après un entretien avec le Pr Patrick Tounian, Chef du service de Nutrition et Gastroentérologie Pédiatriques, Hôpital Armand Trousseau, Paris.
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