Entretien avec le Pr Alfred Penfornis*
« Les hypoglycémies constituent depuis longtemps une problématique importante de la prise en charge des diabétiques. Elles compliquent depuis, plus de 100 ans, date d’introduction des premières insulines, le traitement des diabétiques insulinotraités ; et depuis 50 ans, avec l’arrivée des sulfamides, celui des diabétiques sous insulinosécréteurs. L’échec des études d’intensification, ainsi que l’arrivée de nouvelles classes, les incrétines, sont venus relancer le débat sur l’impact clinique des hypoglycémies iatrogènes », explique le Pr Penfornis (Besançon). Pour rappel, en 2008, l’étude d’intensification ACCORD met en évidence une surmortalité dans le bras traitement intensif. Dans ce même bras, les hypoglycémies sévères ont été trois fois plus fréquentes. La relation causale n’est pas formellement démontrée. Mais les résultats de cet essai appellent à la prudence et remettent les hypoglycémies sur le devant de la scène.
Impact méconnu en santé publique.
« On n’a quasiment pas de données, en France, sur la prévalence, l’impact et le coût des hypoglycémies. Pourtant, une vaste étude américaine – publiée dans le NEJM en 2 011 et passée relativement inaperçue – suggère qu’elles pèsent lourd. Cette étude, comme l’a rappelé le Pr Serge Halimi (CHU de Grenoble), montre que l’insuline et les sulfamides sont à l’origine d’un quart des hospitalisations en urgence d’étiologie iatrogène chez les plus de 65 ans. Certes, les AVK font la course en tête, mais insuline (13 % des hospitalisations) et sulfamides (10 %) arrivent en 2ème et 4ème position respectivement. Les diabétiques payent donc un lourd tribut en termes d’hospitalisations iatrogènes aux États-Unis », constate le Pr Penfornis.Mais qu’en est-il en France ?
L’enquête présentée par Le Pr Halimi à la SFD illustre combien les hypoglycémies sont aujourd’hui « absentes des écrans radars » dans notre pays (1). On ne trouve rien, notamment dans le PMSI. Néanmoins, au terme d’un travail de fourmi mené, avec les internes en pharmacie, sur les registres des pompiers, du SAMU, des urgences et les dossiers patients... l’équipe grenobloise a pu présenter cette enquête rétrospective qui donne une première idée, nécessairement sous-évaluée, du taux d’hospitalisations pour hypoglycémies sévères.
Elle met en évidence un taux d’hypoglycémie sévère de 0,7/100 patients-année chez les diabétiques de type 2, tout traitement confondu. « Le taux serait donc bien plus élevé encore chez les patients sous insuline ou sulfamide, note le Pr Penfornis... Ce sont surtout des sujets âgés. Leur moyenne d’âge est de 73 ans et un tiers ont plus de 80 ans. Deux tiers étaient insulinotraités ; mais un tiers étaient sous seuls antidiabétiques oraux : sulfamides ou répaglinide. Et, parmi ceux-ci, près de la moitié étaient insuffisants rénaux. Il y a donc un mésusage des insulinosécréteurs chez ces sujets âgés insuffisants rénaux. »
Enfin, l’extrapolation en population générale donne, au bas mot, un taux de 25 000 hypoglycémies sévères/an en France et un coût de 125 millions d’euros par an. Les hypoglycémies sévères ont donc un sérieux coût, humain et financier...
Sous insuline : un phénomène fréquent dans la vraie vie.
« Les hypoglycémies sont fréquentes chez les diabétiques insulinotraités, y compris chez les diabétiques de type 2. C’est ce que confirme l’étude DIALOG (sponsorisée par Novo Nordisk), large étude nationale multicentrique, première à apporter des données objectives, françaises, sur l’impact des hypoglycémies dans la vraie vie (2) », souligne le Pr Penfornis.
L’étude a inclus 2 500 diabétiques de type 2 et 2 500 diabétiques de type 1 insulinotraités et examiné, rétrospectivement (sur un an), et prospectivement (sur un mois), la survenue d’hypoglycémies confirmées : symptomatiques ou non, associées à une glycémie inférieure à 0,7 g/L confirmée biologiquement.
Les données prospectives, présentées par le Pr Bertrand Cariou (CHU de Nantes), montrent que « 86 % des diabétiques de type 1 et 45 % des diabétiques de type 2 font au moins un épisode d’hypoglycémie par mois, détaille le Pr Penfornis. Et, rétrospectivement, 13 % des diabétiques de type 1 et 6,7 % des diabétiques de type 2 ont fait au moins une hypoglycémie sévère durant l’année écoulée ». Le taux global d’hypoglycémie par patient est donc de l’ordre de 6,3 épisodes/mois dans le diabète de type 1 et 1,6 épisode/mois dans le diabète de type 2. Le taux d’hypoglycémie sévère est respectivement de 0,2 et 0,1 épisode/mois.
« L’analyse met aussi en évidence un taux d’hypoglycémies asymptomatiques important. Il est de 27 % chez les diabétiques de type 1 et de 8 % chez les diabétiques de type 2. Enfin, a minima, 40 % des diabétiques de type 1 et 11 % des diabétiques de type 2 souffrent d’hypoglycémies nocturnes. Les hypoglycémies nocturnes, forcément sous estimées, sont très anxiogènes pour les patients », rappelle le Pr Penfornis.
Un retentissement mésestimé sur le patient.
GAPP 2, étude internationale, a exploré rétrospectivement les hypoglycémies modérées touchant les diabétiques de type 2 traités uniquement par analogue de l’insuline (basale seule ou multi-injections) (3). Elle met en évidence 85 % d’hypoglycémies modérées par mois. Une fréquence superposable à celle des diabétiques de type 1. Et si la prévalence est globalement la même dans tous les pays participant, en France, où l’on est à 78 %, le ressenti et l’inquiétude sont bien plus importants. « Les patients français sont plus inquiets, en particulier de l’impact sur la conduite automobile, le travail, les relations sociales… Et nombre d’entre eux estiment que ces hypoglycémies ont un retentissement sur les relations de couple, le travail, les voyages et sur la faculté de concentration… », explique le Pr Penfornis.
« Ce travail met en exergue la différence de perception médecin/patient. Pour un médecin, les hypoglycémies sévères sont restreintes à celles nécessitant un resucrage par une tierce personne. Du point de vue du patient, les hypoglycémies sévères sont celles ayant un impact sur leur vie sociale. Et pourtant – négligence parlante – près de la moitié des médecins interrogés dans cette enquête ne discutent pas en consultation des hypoglycémies... On mésestime manifestement le retentissement sur le patient des hypoglycémies modérées », conclut A Penfornis.
« Ces études sur les hypoglycémies confirment la fréquence de ces événements chez tous les diabétiques insulinotraités, de type 1 comme de type 2. Elles mettent en exergue le retentissement important des hypoglycémies, même modérées, sur la vie quotidienne des patients. Une problématique à prendre plus en considération à l’avenir », selon le Pr Penfornis.
* CHU de Besançon, modérateur de la session Hypoglycémie et éducation thérapeutique). Déclaration d’intérêts du Pr Penfornis : « Au cours de la dernière année, l’auteur déclare avoir participé à des interventions ponctuelles (essais cliniques, travaux scientifiques, activité de conseil, conférence ou colloque) pour les entreprises Abbott, AstraZeneca, Bristol-Myers Squibb, Johnson & Johnson, Merck Sharp & Dohme, Merck-Serono, Novartis, Novo Nordisk, Roche, Sanofi Aventis, Takeda, Lilly, Boehringer Ingelheim ».
(1) Pr Serge Halimi - Fréquence, typologie des patients et coût médicoéconomique des hypoglycémies iatrogènes sévères chez des diabétiques de type 2 sur un territoire de santé en France. O9
(2) Bertrand Cariou. Fréquence des hypoglycémies chez 4 424 diabétiques insulinotraités en France : résultats du suivi observationnel prospectif de l’étude DIALOG. O10
(3) Antoine Avignon. GAPP2™ : les hypoglycémies légères à modérées (HLM) sont fréquentes chez les patients diabétiques de type 2 (DT2) en France et retentissent sur leur vie quotidienne. O11.
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