LE QUOTIDIEN : Qu’en est-il de l’emploi en pratique clinique des agonistes du récepteur du GLP-1 ? Il semble que leur utilisation soit suboptimale. Alors faut-il accroître les doses, réaliser des associations ou faire les deux ?
PR BRUNO GUERCI : Le plus étonnant est que nous sortons d’une dizaine d’années d’études de sécurité et d’efficacité cardiovasculaire, en particulier avec les agonistes du récepteur du GLP-1, avec huit études randomisées conduites auprès de populations de patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire ou avec maladie cardiovasculaire établie. C’est également le cas avec les inhibiteurs du SGLT2, avec 5 études majeures publiées dans ce domaine. Malgré cela, il existe un important décalage entre les preuves de la sécurité cardiovasculaire ou rénale de ces molécules, qui ont amené à les positionner de manière prioritaire dans l’algorithme de traitement du patient diabétique de type 2 (cf. recommandations des sociétés savantes nationales et internationales), et leur relative faible utilisation dans la vraie vie.
Un travail réalisé sur une base de données aux États-Unis a mis en évidence la sous-utilisation de ces molécules, et notamment la faible incidence des nouvelles prescriptions d’arGLP1, passant de 0,5 en 2014 à 2 pour 100 patients-années en 2019, alors même que les preuves existaient déjà sur l’efficacité des arGLP1 et que les patients auraient dû en bénéficier du fait de la présence d’une maladie athéromateuse cardiovasculaire diagnostiquée (1).
L’étude Capture, publiée cette année, a également montré, dans une très large population de près de 10 000 patients diabétiques de type 2, sur cinq continents et 13 pays, la prévalence des maladies cardiovasculaires (MCV) et/ou du risque cardiovasculaire élevé à très élevé chez les patients DT2, et en regard la prescription de molécules qui préservent du risque d’accident coronarien, d’une atteinte de type insuffisance cardiaque, d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque, ou d’une maladie rénale chronique. Plus d’un tiers de ces patients (34,8 %) présentaient une maladie cardiovasculaire établie mais, parmi eux, seuls 9,5 % et 16,5 % bénéficiaient respectivement d’un traitement par arGLP1 ou d’un iSGLT2. Plus inquiétant, ce sans différenciation sur le profil cardiovasculaire du patient, 21,5 % des patients avec MCV recevaient un arGLP1 et/ou un iSGLT2, contre 22,2 % des patients sans MCV (2).
Le premier message est donc ce décalage majeur entre les données des essais cliniques et la prescription en vie réelle. Afin de remédier à ce constat, il est sans doute utile d’apporter des données provenant de la vraie vie, du fait d’une « dichotomie » importante entre les études randomisées, qui apportent des preuves d’efficacité et de tolérance, et la clinique courante, à laquelle sont confrontés les diabétologues mais également les médecins généralistes, les cardiologues et autres spécialistes.
Nos consultations en ville ou à l’hôpital sont destinées à des patients dont la situation cardiovasculaire est identique à celle des études randomisées mais, à l’évidence, on ne les identifie pas assez. Ainsi, ils ne bénéficient pas comme ils le devraient des traitements et/ou des stratégies les plus optimales en particulier pour réduire le risque cardiorénal. C’est pourquoi les études de vraie vie (RWE pour « real world evidence ») sont essentielles. Elles apportent des informations complémentaires sur l’efficacité et la sécurité des molécules antidiabétiques, sont réalisées sur des populations beaucoup plus larges et hétérogènes, mais répondant à des situations de pratique clinique pluriprofessionnelle (plusieurs dizaines de milliers de patients). Ces études RWE ont peut-être davantage de chances de sensibiliser les praticiens pour qu’ils se les approprient parce qu’il s’agit de données issues de bases de données de santé, comme en France avec le Système national des données de santé (SNDS). Elles apportent aussi un éclairage très intéressant sur la consommation de soins selon les traitements et les stratégies mises en œuvre. Cela a été en particulier démontré et rapporté à l’EASD dans une large étude (étude Emprise) conduite dans quatre pays d’Europe sur plus de 70 000 patients avec l’empagliflozine en comparaison de l’utilisation des iDPP4, avec une baisse des hospitalisations de 25 %, des entrées en unité d’urgence de 20 % ou de visites en consultation de 11 % (3).
Et comment sensibiliser les patients ?
Il faut tenter de convaincre les prescripteurs de l’intérêt des nouvelles molécules pour leurs patients, mais aussi les patients eux-mêmes, qui ont des difficultés à se projeter dans la maladie chronique vis-à-vis d’un risque théorique de complications liées au diabète à un horizon de 5 à 10 ans. Cela a été évoqué lors d’une présentation orale au congrès, avec les difficultés d’observance au traitement injectable, notamment par arGLP1 (4).
Les patients se projettent davantage sur le bénéfice immédiat d’une molécule, plutôt que sur un effet de protection cardiorénale, qui va ralentir une dégradation progressive de la fonction rénale avec, à terme une insuffisance rénale terminale et une mise sous dialyse dans 10 à 15 ans.
Dans le diabète, maladie peu symptomatique en dehors des complications métaboliques aiguës, il est difficile pour le patient de garder une observance et d’appliquer les recommandations de traitement sur le long terme. L’usage des formulations d’arGLP1 hebdomadaire par rapport aux injections quotidiennes se traduit néanmoins par une meilleure persistance au traitement, ainsi qu’une observance plus forte (mais qui n’excède guère les 50 %) à 6 et 12 mois dans la vraie vie. Ces nouveaux résultats confirment ceux d’études précédemment publiées, avec un suivi d’une à deux années, où seule une petite moitié des patients continue à prendre régulièrement son médicament. Les intolérances au traitement ne peuvent pas tout expliquer, car leurs fréquences et intensités restent modérées et transitoires. L’autre hypothèse, probablement plus proche de la vérité, est que le patient stoppe sa thérapeutique car il ne voit pas de bénéfice immédiat sur sa maladie, en regard des contraintes des multiples traitements à suivre.
On peut néanmoins espérer que les traitements par injection hebdomadaire soient susceptibles d’apporter une meilleure observance globale au traitement que les injections quotidiennes, de même que la simplicité d’utilisation des stylos, l’absence de titration pour certains arGLP1 et peut-être la prescription de hautes doses récemment disponibles selon les pays (semaglutide à 2 mg, dulaglutide à 3 et 4,5 mg), en permettant d’obtenir des résultats meilleurs en termes de baisse de l’HbA1c et surtout de perte de poids. Mais cela reste à préciser et à documenter.
Dans cette optique, le programme Step étudie spécifiquement des doses élevées de semaglutide à 2,4 mg/semaine au sein de populations en surpoids ou obèses, ce traitement ayant reçu l’approbation de la FDA pour le traitement de ces patients. L’étude Step-2 s’est intéressée à des patients diabétiques de type 2 obèses ou en surpoids, traités par 2,4 ou 1 mg/semaine de sémaglutide vs placébo, avec des résultats allant jusque 9,6 % de perte de poids et une baisse d’HbA1c de 1,6 % pour la dose la plus élevée de sémaglutide (5). La question de la tolérance des arGPLP1 à fortes doses reste une préoccupation clinique car l’incidence des effets indésirables gastro-intestinaux est plus élevée dans ces conditions, augmentant le risque d’interruption des traitements.
Que faut-il penser des associations ?
Les associations de traitements sont nombreuses et certaines peuvent apparaître tentantes, comme l’association d’arGLP1 et de iSGLT2, mais à ce jour cette association ne fait pas l’objet d’un remboursement en France. C’est donc avec un intérêt certain que l’on peut suivre le développement de co-agonistes, c’est dire d’agonistes « double hormone », dont les résultats ont été présentés congrès de l’American Diabetes Association en juin 2021, ainsi qu’au cours de ce congrès de l’EASD 2021.
C’est le cas notamment avec le tirzépatide, nouveau co-agoniste GIP (glucose-dependent insulinotropic polypeptide) et GLP-1, dont les résultats du programme Surpass sont très impressionnants, en termes de puissance d’effets sur l’HbA1c et le poids. Les résultats avec des doses de 5 mg jusque 15 mg/semaine, en comparaison directe avec le semaglutide à 1 mg/semaine sont significativement supérieurs, avec des réductions du taux d’HbA1c au-delà de 2 % en valeur absolue et des baisses de poids qui atteignent jusque 10 à 15 kg (6). Pour près de 50 % des patients, cela se traduit par un retour à une valeur d’HbA1c en dessous du seuil de diagnostic du diabète (< 5,7%), plus de 80 % d’entre eux atteignant l’objectif classiquement retenu < à 7,0 %. Sur le plan pondéral, un pourcentage élevé de patients répond efficacement au traitement par tirzepatide, avec 65 % qui perdent plus de 10 % du poids, et 40 % qui perdent plus de 15 % du poids. Les mécanismes d’action restent à préciser en qui concerne l’amélioration de la sensibilité à l’insuline, l’effet direct central de contrôle de la prise alimentaire, ou d’autres effets sur des organes clés, comme l’adipocyte, le muscle ou le foie. Une session complète organisée par le comité scientifique de l’EASD a été dédiée à ces aspects mécanistiques de fonctionnement de cette molécule particulièrement puissante au niveau clinicobiologique (7).
Un autre double agoniste, le cotaglutide, a donné lieu à plusieurs communications au congrès. Il s’agit d’un double agoniste des récepteurs au GLP-1 et des récepteurs au glucagon, avec des effets portant sur la réduction de la lipogenèse, de l’inflammation, et de la fibrose, et une augmentation de la perte de poids (par augmentation de la dépense énergétique) et de la clairance du glucose. Cependant, il semble avoir un effet moins puissant que le tirzépatide sur l’HBA1c et le poids, même si on ne dispose pas à ce jour d’étude comparative. Le développement du cotaglutide est orienté sur l’amélioration de la stéatohépatite non alcoolique (8).
Et, aujourd’hui, des tri-agonistes arrivent…
Il y a aussi du nouveau à propos des gliflozines, d’une part sur leur mode d’action et d’autre part concernant les biomarqueurs pour identifier les répondeurs en termes de protection rénale.
Cette classe thérapeutique continue de faire parler d’elle, tant sur des résultats d’évènements de protection cardiorénale dans des populations diabétiques comme non diabétiques, que sur son mode d’action concernant la protection cardiaque. L’utilisation des corps cétoniques comme « superfuel » pour le myocarde, à la différence du glucose qui demande beaucoup plus d’ATP et qui est plus consommateur d’oxygène, constitue à ce jour une des hypothèses principales de son effet cardioprotecteur, au-delà des effets diurétiques connus de ces molécules. Au cours de la « 36e Camillo Golgi Lecture » , le Pr Hiddo Lambers Heerspink a rapporté des données tout à fait originales sur la réponse aux gliflozines en termes de protection rénale, c’est-à-dire de réduction de l’excrétion urinaire d’albumine et/ou de ralentissement de la pente de dégradation de la fonction rénale (DFG). L’identification de biomarqueurs est importante afin de définir les chances de réponse, ou non, au traitement par iSGLT2. À ce titre, la pente de diminution du DFG sur les années précédentes (plus que la valeur du DFG et/ou de l’excrétion urinaire d’albumine (EUA) à l’initiation du traitement) apparaît comme un marqueur important de la réponse. Une étude par Pet-Scan de la fonction rénale a également été réalisée par une équipe après prise de canagliflozine. Le marquage du traceur glucosé au niveau du parenchyme rénal était d’autant plus marqué que le patient était répondeur au traitement par gliflozine.
On parle de plus en plus des inhibiteurs doubles SGLT1 et SGLT2. Quelle sera leur place ?
Il s’agit essentiellement de la sotagliflozine, inhibiteur double SGLT1 et SGLT2 : les SGLT2 ont une expression majoritairement rénale et sont responsables de 90 % de la réabsorption du glucose et du sodium au niveau du tubule proximal ; les SGLT1 sont localisés essentiellement au niveau intestinal, en inhibant le transport et la réabsorption du glucose au niveau de la barrière intestinale. Les données concernant son efficacité et sa sécurité cardiovasculaire (étude Soloist-WHF) et rénale (étude Scored) viennent d’être publiées sur des critères cliniques majeurs rendent cette molécule intéressante, en particulier chez des patients diabétiques de type 2 avec maladie rénale chronique (DFG entre 25 et 60 ml/min (9) ou atteints d’insuffisance cardiaque avec épisodes récurrents d’hospitalisation (10).
Il y a cependant, sur le plan des effets secondaires, un effet additif de l’inhibition des SGLT2 au niveau rénal et des SGLT1 au niveau intestinal, avec en particulier des troubles digestifs non négligeables. Ce produit sera sans doute destiné au traitement de la maladie rénale et de l’insuffisance cardiaque à terme, pour peu qu’il obtienne une AMM européenne et un remboursement en Europe et en France.
La finérénone a fait l’objet de plusieurs présentations au congrès. Que peut-on en retenir ?
La finérénone est un nouvel antagoniste des récepteurs des minéralocorticoïdes, mais non stéroidien. Cette molécule a démontré à travers deux études (Fidelio-DKD publiée en 2020 et Figaro-DKD récemment présentée au congrès de l’European Society of Cardiology (ESC) en août 2021), conduites chez des patients diabétiques de type 2 avec une insuffisance rénale légère à sévère (25 à 90 ml/min, avec des degrés différents de micro- > à 30 mg/g d’albumine/créatinine urinaire ou macroprotéinurie jusque 5 000 mg/g), une protection cardiorénale et réduction du risque de morbimortalité cardiovasculaire (11). Un des points intéressants est qu’il s’agit d’une molécule présentant une meilleure tolérance que les classiques antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoides, comme la spironolactone ou l’éplérénone, avec beaucoup moins d’effets secondaires et notamment de risque d’hyperkaliémie ou d’arrêt de traitement pour troubles endocriniens ou métaboliques.
Il est à noter, dans ces études comme dans les essais réalisés avec les inhibiteurs de SGLT2, la présence de sous-populations de patients ayant bénéficié d’une association d’inhibiteurs de SGLT2 et finérénone. Ces patients ont présenté une diminution du risque d’hyperkaliémie du fait de l’augmentation de la kaliurèse observée sous inhibiteurs de SGLT2, la finérénone étant par ailleurs beaucoup moins hyperkaliémante que les autres antagonistes des récepteurs minéralocorticoïdes. Une étude en cours a été présentée pendant l’EASD sur l’intérêt d’une association iSGLT2 et antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes, avec comme critère principal la réduction de l’albuminurie, et en critère secondaire l’évolution de la pression artérielle et l’incidence des épisodes d’hyperkaliémie (12).
La finérénone semble donc une molécule particulièrement intéressante pour l’avenir, peut-être en association aux autres traitements de l’insuffisance cardiaque, ou aux traitements qui sont classiquement prescrits chez les patients avec maladie rénale chronique (DFG abaissé, micro ou macroalbuminurie, sujets diabétiques). Donc, potentiellement en complément d’un ARA2 ou d’un IEC, ou en association à un inhibiteur de SGLT2.
Les inhibiteurs de la SGLT2 sont aujourd’hui, avec les nouvelles recommandations de l’ESC (août 2021), recommandés en première intention comme les autres traitements de l’insuffisance cardiaque, tels que les sartans, les bêtabloquants, les médicaments du système rénine angiotensine aldostérone, les antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes, et le sacubitril/valsartan (13).
Les inhibiteurs de la SGLT2 présentent aussi un profil de sécurité très satisfaisant et une simplicité de prescription et de surveillance. Cela en fait une molécule d’intérêt clinique majeur pour les cardiologues en capacité de prescrire dans les situations d’insuffisance cardiaque chez le patient diabétique, comme chez le non diabétique depuis décembre 2020, pour la dapagliflozine, et probablement prochainement pour l’empagliflozine. Les néphrologues, qui bénéficient quant à eux d’une ATU de cohorte pour la prescription des gliflozines dans des maladies rénales chroniques hors diabète, pourront probablement prochainement eux aussi les prescrire.
(1) EASD 2021 – session SO 27 Glucose-lowering agents: Real World Evidence? Short oral communication 448: Trends in initiation of GLP-1 RA in patients with type 2 diabetes during 2014 - 2019: a US database study - Anne Ersboll (2) Mosenzon O et al. Cardiovasc Diabetol 2021 ;20:154 (3) EASD 2021 – session SO 27 Glucose-lowering agents: Real World Evidence? Short oral communication 444 Healthcare resource utilisation after empagliflozin initiation in Europe: real-world evidence from the EMPRISE study – Léo Niskanen (4) EASD 2021 – session OP 04 GLP-1 receptor agonism: higher dose, combination therapy, or both? OP 24 : Adherence and persistence in patients with type 2 diabetes initiating once-weekly versus once-daily injectable GLP-1 RAs in US clinical practice (STAY study) - William Polonsky (5) EASD 2021 – session OP 04 GLP-1 receptor agonism: higher dose, combination therapy, or both? OP 19: Effect of semaglutide 2.4 mg on glucose metabolism and body weight in adults with overweight or obesity and type 2 diabetes in the STEP 2 trial – Susie Pedersen (6) EASD 2021 – session OP 04 GLP-1 receptor agonism: higher dose, combination therapy, or both? OP 22: Efficacy and safety of tirzepatide versus semaglutide once weekly as add-on therapy to metformin in people with type 2 diabetes (SURPASS-2) - Melanie J Davis (7) EASD 2021 - Next step in incretin therapy: from single to dual agonism (8) EASD 2021 - SO 30 The advantage of dual agonists. Short oral 476 : Efficacy, safety and tolerability of cotadutide as an add-on therapy in overweight subjects with type 2 diabetes treated with dapagliflozin and metformin – Armando Flor (9) N Engl J Med. 2021 Jan 14;384(2):129-139 (10) Bhatt DL et al. N Engl J Med. 2021 Jan 14;384(2):117-128 (11) Pitt B et al. N Engl J Med. 2021 Aug 28. doi: 10.1056/NEJMoa2110956 (12) étude ROTATE-3, D’après Heerspink HLD, EASD 2021 (13) McDonagh TA et al. Eur Heart J. 2021 Sep 21;42(36):3599-3726
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