Hypoglycémies induites par l’insuline

La contribution des arythmies aux décès

Publié le 17/09/2015
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Depuis

une décennie les hypoglycémies, sévères en particulier, sont fortement suspectées d’être la cause directe ou indirecte de décès chez les diabétiques de type 2 (DT2) (1,2). Ce sujet est au cœur des débats depuis et a grandement influencé la déclaration ADA-EASD – et par conséquent les recommandations de la HAS en ce qui concerne le choix des objectifs et des moyens de traitement des DT2 surtout les plus fragiles (3).

Mais ce débat concerne aussi les diabétiques de type 1 (DT1), avec le dramatique « dead in bed syndrome » (4) et aussi les hypoglycémies sévères (HS), suspectées d’être une des principales causes de la surmortalité importante de ces personnes (5). Simon Fisher (université médicale de l’Utah), qui a considérablement contribué à clarifier ce sujet depuis une décennie grâce à ses travaux chez l’animal, a donné une conférence très remarquée durant ce 75e congrès de l’ADA 2015 à Boston.

Des causes majeures de mortalité

Quelles sont les causes plausibles de décès lors d’HS ? On constate une augmentation de l’inflammation et de plusieurs biomarqueurs de prothrombose (VCAM, E-Selectine et PAI-1), contemporaine des HS mais sans lien avec l’hyperinsulinisme qui les accompagne (1). Quoi que ces données concernent des DT1, ce phénomène s’appliquerait plus encore aux DT2 (6).

Une autre cause de décès peut être l’ischémie myocardique aiguë, mise en évidence dans les travaux de C. Desouza et al. en 2003, comme en témoignent les anomalies ECG lors d’ischémies myocardiques, symptomatiques ou non, durant certains épisodes hypoglycémiques sévères (confirmés par CGMS) (7).

Quant aux troubles du rythme, ils font l’objet de cette mise au point. Dans l’étude ORIGIN (glargine versus non-glargine chez des DT2 en postaccident cardiovasculaire) le hazard ratio le plus élevé établissant un lien entre hypoglycémies et mortalité concernait les décès par arythmie, expliquant le plus les décès brutaux et nocturnes, puis la mortalité cardiovasculaire globale, enfin la mortalité globale. Les hypoglycémies non sévères n’ayant que peu d’effet sur ces causes de mortalité (8). Pour S. Ficher, les arythmies paraissent être au cœur de cette question.

Pour son équipe, prenant pour modèle les décès dramatiques décrits chez de très jeunes DT1 dans leur sommeil, « le dead in bed syndrome », les causes envisageables sont de cinq natures : soit une comitialité extrême et fatale, soit une neuroglucopénie profonde avec décès cérébral, soit une profonde diminution de l’activité respiratoire par dépression du SNC, soit une arythmie – mais laquelle ? Est-ce un marqueur ou une cause ? – enfin soit par une hypokaliémie par hyperinsulinisme.

Neuroglucopénie profonde

Ils ont pratiqué chez des rats, des clamps hyperinsuliniques hypoglycémiques (très profonds 10-15 mg/dl pour une normale autour de 75 mg/dl).

La première hypothèse est la neuroglucopénie profonde et pour l’évaluer ils ont provoqué une profonde hypoglycémie périphérique mais apporté du glucose dans le cerveau et constaté que cela réduisait considérablement la mortalité et les taux d’hormones contre-régulatrices comme celle de l’adrénaline (9).

L’hypothèse de travail fut donc que l’hypoglycémie centrale est responsable de l’arythmie et secondairement de l’arrêt cardiorespiratoire. La première conséquence de l’hypoglycémie sévère chez ces rats est une tachycardie avec un allongement de QTc, même phénomène que celui décrit chez l’homme par B. Frier en 2011. Ceci valide le modèle animal « rat ». Suivent ensuite des phénomènes de contractions ventriculaires prématurées puis des blocs du premier et second degré (ceci signifie un allongement de la transmission de la région atriale aux ventricules voire des ondes P non suivies de contraction ventriculaire). Suit une bradycardie sinusale puis un bloc du troisième degré c’est-àdire une dissociation complète atrioventriculaire et peut s’ensuivre une tachycardie ventriculaire (figure).

L’autre piste explorée est celle de l’hypokaliémie. Ainsi, l’infusion de potassium durant des hypoglycémies sévères réduit la mortalité des animaux non-diabétiques comme diabétiques (10).

Double blocage alpha-béta

Comment cette neuroglucopénie entraîne-t-elle des troubles du rythme ? L’hypothèse est par stimulation massive du SN sympathique, avec un taux très élevé d’adrénaline et de noradrénaline. Pour la tester, ils ont administré un alphabloqueur (prazocine) et un bétabloquant non sélectif (propranolol), qui annule totalement la mortalité de ces rats au cours d’une hypoglycémie profonde : passant de 35 à 0 % !

L’observation de la fréquence cardiaque (FC) est essentielle. Chez les animaux en hypoglycémie ayant survécu à cet épisode, la fréquence cardiaque est moins accélérée que ceux étant décédé. Et le double blocage α-ß réduit significativement la FC chez ceux ayant survécu. De même, l’allongement de QTc est significativement lié à la mortalité, et le double blocage α-ß réduit considérablement son allongement.

De plus, le double blocage α-ß réduit totalement, à la fois la fréquence des blocs du second et du troisième degré et la mortalité au décours des HS (9).

Est-ce le blocage α ou ß qui est responsable de cette protection ? Des travaux menés chez l’homme montrent que le blocage ß1 réduit l’allongement de QTc qui accompagne les HS.

Autre piste, les HS avec crises comitiales sont-elles responsables des décès par dépression respiratoire et hypoventilation ? Pour Fisher, les études menées chez le rat excluent cette hypothèse, aucune baisse de SO2 ou élévation de CO2 ne sont enregistrées. En somme, le décès n’est ni d’origine respiratoire ni dû à une crise comitiale.

Préconditionnement

Dernier sujet abordé : l’effet potentiellement protecteur des hypoglycémies répétées sur la morbidité des HS. Il a ainsi été montré que, expérimentalement 3 jours d’hypoglycémie autour de 40 mg/dl réduisent de 30-40 % la réponse adrénergique à une hypoglycémie sévère le quatrième jour. Cet effet protecteur a été démontré chez des rats rendus diabétiques par Vanderwele et al. en 2014, du groupe de Fisher : les hypoglycémies de gravité moyenne, répétées, réduisent de plus de 80 % la survenue de blocs du second degré et la mortalité suite à une HS (11).

De même, chez le chien, Puente et al., du groupe de Fisher, démontraient en 2010 que les hypoglycémies moyennes répétées réduisent fortement les dommages cérébraux provoqués par des HS (études histologiques) et améliorent les performances cognitives des rats (fonctions de l’hippocampe) en état d’hypoglycémie. Dans les deux cas, on peut parler de préconditionnement (11).

Il existe un « paradoxe des hypoglycémies répétées » (tableau). Soit un état de mal adaptation dû à un déficit du système nerveux autonome (SNA) qui rend les hypoglycémies asymptomatiques avec défaut de contre-régulation et accroissement du risque hypoglycémique, en fréquence et gravité. Soit une situation qu’on peut qualifier d’adaptative liée aux hypoglycémies répétées, qui favorise la cognition, la neuroprotection, réduit la comitialité et la mortalité par HS (12-14).

En somme, trois conditions peuvent réduire les effets dramatiques des HS sévères : l’apport de glucose au cerveau, le blocage ß adrénergique et le préconditionnement par des hypoglycémies modérées répétées.

À l’issue de ces données, il convient de rappeler que beaucoup d’actions peuvent et doivent être entreprises pour réduire le risque hypoglycémique chez les diabétiques : choix des objectifs et des traitements chez les DT2 et utilisation des nouvelles méthodes d’administration de l’insuline chez les DT1, capteurs et télémédecine sans omettre l’approche éducative de qualité dont l’offre et la qualité restent à parfaire (15).

Simon J Fisher MD-PHD, université médicale de l’Utah, chef d’unité endocrinologie et diabétologie. Arrhythmias and Mortality Associated with Insulin-induced Hypoglycemia

(1) Desouza CV et al. Diabetes Care 2010;33:1389-94

(2) Frier BM et al. Diabetes Care 2011 May;34 Suppl 2:S132-7

(3) Inzucchi SE et al. Diabetes Care 2015;38:140-9.c

(4) Heller SR. Int J Clin Pract Suppl. 2002;(129):27-32

(5) Halimi S. Diabetes Metab 2010;36 Suppl 3:S75-83

(6) Gogitidze Joy N et al. Diabetes Care 2010;33:1529-35. Erratum in: Diabetes Care 2010;33:2129

(7) Desouza C et al. Diabetes Care 2003;26:1485-9

(8) ORIGIN Trial Investigators. Eur Heart J 2013;34:3137-44

(9) Reno CM et al. Diabetes 2013;62:3570-81

(10) Heller SR et al. Diabetes Obes Metab 2000;2:75-82

(11) Puente EC et al. Diabetes 2010;59:1055-62

(12) Reno CM et al. Am J Physiol Endocrinol Metab 2013;304: E1331-7

(13) Graveling AJ et al. Diabetes Metab 2010;36 Suppl 3:S64-74

(14) Reno CM et al. Endocrinol Metab Clin North Am 2013;42:15-38

(15) Yeoh E et al. Diabetes Care 2015;38:1592-609

Pr Serge Halimi

Source : Congrès spécialiste