La maladie de Lyme (ML) n’est pas rare en France, et peut être contractée après une promenade en forêt, mais aussi dans les parcs urbains ou les jardins individuels, qui hébergent le vecteur de la maladie, Ixodes ricinus. L’espèce de Borrelia la plus fréquemment rencontrée chez les patients atteints de ML est B. afzelii, majoritaire dans les tiques et responsable surtout d’atteintes cutanées, tandis que B. garinii et B. burgdorferi stricto sensu sont plus fréquemment responsables d’atteintes neurologiques et articulaires. Que la tique soit ou non infectée par Borrelia, sa piqûre entraîne souvent une réaction locale inflammatoire prurigineuse, qui disparaît en quinze jours.
Une évolution en trois phases
Lorsque la tique est restée en place plus de 12 à 24 heures, il faut surveiller, au cours des deux mois suivants, l’apparition des premiers signes d’une ML, soit classiquement un érythème migrant (EM), tache rouge d’extension progressive avec ou sans guérison centrale, représentant plus de 70 % des formes en France. Il est parfois associé à un syndrome pseudo-grippal avec fièvre peu élevée, arthromyalgies et céphalées. Un syndrome grippal sans EM doit faire évoquer d’autres maladies transmises par les tiques moins fréquentes, comme la tularémie (chancre d’inoculation et adénite satellite), l’anaplasmose (fièvre élevée avec cytopénie et cytolyse hépatique) ou encore une infection par le virus de l’encéphalite à tiques (TBE).
« L’antibiothérapie systématique prophylactique n’a pas sa place en l’absence de symptomatologie, souligne le Dr Cédric Lenormand (Strasbourg). Aux États-Unis, une étude a montré qu’une prise unique de doxycycline après piqûre réduisait le risque de développer un EM, mais il n’a jamais été montré que ceci était suffisant pour prévenir l’apparition de manifestations à plus long terme. »
À cette phase précoce localisée, représentée par l’EM, lorsque celui-ci passe inaperçu ou n’est pas traité, peut succéder après un à six mois, la phase primaire disséminée sous forme d’un EM multiple, d’un lymphocytome borrélien (LB), plus rare, correspondant à une lésion infiltrée au niveau de l’oreille, du mamelon ou du scrotum, ou d’atteintes articulaires (monoarthrite du genou, oligoarthrite migratrice) ou neurologiques (paralysie faciale, méningo-radiculonévrites aiguës, méningites suraiguës).
La phase tardive disséminée de la maladie (de 2 mois à plus de 10 ans après la piqûre) est surtout représentée par l’acrodermatite chronique atrophiante (ACA), ou maladie de Pick-Herxheimer. Elle débute par un œdème et un érythème rouge sombre à une extrémité (main, pied), se renforçant en regard des surfaces osseuses, qui va progressivement s’étendre et laisser place à une atrophie cutanée. Dans plus de la moitié des cas s’y associe une atteinte neurologique (allodynie), douleurs de tonalité neuropathique déclenchées par les frottements ou les chocs, dans le même territoire que l'ACA. Beaucoup plus rarement, mais probablement sous-estimés, des syndromes démentiels peuvent s’observer, souvent accompagnés de fatigue, de maux de tête et d’anomalies neurologiques focales, le diagnostic étant alors porté grâce à l’étude du liquide céphalo-rachidien.
Subjectivité…
Si ces manifestations cliniques typiques sont maintenant bien connues et leur prise en charge bien codifiée, on reste beaucoup plus perplexe devant une symptomatologie chronique développée par certains patients atteints de formes avérées de ML, associant fatigue importante, douleurs diffuses migratrices articulaires ou musculaires, céphalées intermittentes, troubles cognitifs modérés, où les patients évoquent une sensation de « brouillard cérébral », avec souvent une petite note dépressive.
En effet, ces symptômes peuvent persister après un traitement antibiotique bien conduit et malgré la régression des signes objectifs de l’infection. Dans la plupart des études, on constate une amélioration progressive de ces signes, bien que leur impact sur la qualité de vie soit parfois important. Le terme de « syndrome post-Lyme » (Post-Treatment Lyme Disease Syndrome, PTLDS) est couramment utilisé pour désigner ce tableau, considéré par la plupart des spécialistes comme un syndrome de fatigue chronique post-infectieux.
... et incertitudes
De tels symptômes subjectifs peuvent par ailleurs s’observer en dehors de tout contexte de ML avérée cliniquement, avec ou sans positivité sérologique, posant alors la question des nombreux diagnostics différentiels (fibromyalgie, syndrome de fatigue chronique, trouble somatoforme…). Le risque d’attribuer à tort de tels symptômes à une infection persistante par Borrelia est réel, d’autant qu’il n’est pas rare d’observer une sérologie positive chez des sujets sains : c’est le cas de 5 % des donneurs de sang en Alsace, et jusque chez 20 % des forestiers ! « Une sérologie positive témoigne d’une exposition à Borrelia, mais n’est pas synonyme d’infection et doit donc s’interpréter en fonction du tableau clinique », insiste le dermatologue.
Dans un contexte d’angoisse entretenue par les unes sensationnalistes de plusieurs médias grand public sur le sujet, des laboratoires privés français et étrangers multiplient les offres de « diagnostics biologiques » alternatifs onéreux (ELISPOT, PCR, etc), pour pallier les prétendus défauts de la sérologie Borrelia, devant ces tableaux cliniques non spécifiques. Mais ces techniques n’ont jamais fait l’objet d’une validation rigoureuse et ne peuvent donc être recommandées. « Aucun argument scientifique convaincant ne permet aujourd’hui de rapporter ces symptômes subjectifs chroniques à une infection persistante à Borrelia, dès lors que les tests (sérologie, ponction lombaire) ont permis d’éliminer une neuroborréliose. Et la preuve de l’efficacité des polyantibiothérapies prolongées, proposées par certains médecins, manque cruellement », explique le Dr Lenormand, ajoutant qu’il est capital que la recherche avance pour essayer de mieux caractériser les mécanismes physiopathologiques à l’origine de ces troubles, afin de trouver des solutions satisfaisantes pour soulager les malades.
Des pistes pour les malades
Des travaux récents suggèrent que les patients atteints de ces formes sévères de syndrome de fatigue chronique ont en fait des anomalies métaboliques profondes se traduisant par des capacités amoindries de réponse face aux stress environnementaux qui pourraient être à l’origine de leurs symptômes. Peut-être une piste pour trouver enfin des solutions thérapeutiques à ces troubles subjectifs, face auxquels les médecins sont démunis et qui engendrent une souffrance authentique et une errance médicale chez de nombreux malades. Un protocole national de soins est en cours de rédaction à l’HAS afin de mieux prendre en charge ces patients.
exergue : Le risque d’attribuer à tort un PTLDS à une infection persistante par Borrelia est réel
Entretien avec le Dr Cédric Lenormand, dermatologue, Centre national de référence des borrélioses (Strasbourg)
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