Pr François Pattou (CHU de Lille) : « Notre étude suggère d’élargir les indications de la greffe d’îlots de Langerhans »

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Publié le 27/09/2024
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Depuis 2020, la France est l’un des rares pays à autoriser et à prendre en charge la greffe d’îlots de Langerhans pour traiter les patients diabétiques de type 1 qui ont déjà reçu une greffe de rein. Cette pratique améliore la survie, selon l’étude Kaiak publiée dans « The Lancet ». Le point avec le coordinateur de l’étude, le Pr François Pattou, chirurgien digestif au CHU de Lille.

Crédit photo : JULIE BOURGES

LE QUOTIDIEN : Quel est l'avantage d'une greffe d’îlots de Langerhans, comparée à une greffe de pancréas, chez les patients greffés rénaux ?

Pr FRANÇOIS PATTOU : Les patients greffés rénaux constituent une population intéressante pour bénéficier d’une greffe dans la mesure où ils reçoivent déjà un traitement immunosuppresseur. La greffe d’îlots permet de traiter tous les patients qui ne sont pas éligibles à la greffe de pancréas. Cette dernière ne peut être proposée qu’à des patients jeunes et en bonne forme, ce qui n’est pas fréquent. En outre, il y a un problème de disponibilité des greffons.

Quel est le principal enseignement de l’étude Kaiak ?

Cette étude montre que la greffe d’îlots de Langerhans améliore la survie des patients diabétiques greffés rénaux. C'est très rare d'avoir la démonstration d'un critère clinique aussi fort que celui-là. Elle suggère d'élargir les indications actuelles, qui placent le transfert d’îlots en dernier recours après échec d’une prise en charge optimale du diabète. Des études pourraient être montées dans le diabète de type 1 sans insuffisance rénale.

Nos résultats pourraient inciter les collègues à se mettre à la greffe d’îlots

Notre étude était très attendue aux États-Unis, où la greffe d’îlots n'est pas encore autorisée. En France, elle valide la décision de la Haute Autorité de santé de 2020 et pourrait inciter les collègues à se mettre à la greffe d’îlots.

Il n’était pas possible de procéder à une étude randomisée contre placebo. Comment avez-vous amélioré le niveau de preuve fourni par votre travail ?

Effectivement, il est compliqué d'imaginer une étude randomisée dans laquelle la moitié des patients sont privés d'une procédure qui améliore considérablement leur diabète, tout comme de maintenir non greffés des patients pendant un long suivi.

Nous avons donc adopté une méthodologie particulière d'étude cas-contrôle pour reconstruire l'équivalent d'une étude clinique : le target trial emulation. Notre groupe contrôle était identique au groupe traité du point de vue d'une dizaine de critères mais aussi pour ce qui est du délai écoulé entre la greffe de rein et le début du suivi.

Tous les patients de l'étude ont été recrutés dans le cadre du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) Cristal, car nous voulions qu'ils aient tous été pris en charge dans l’environnement d'un centre expert qui pratique la greffe d'îlots. Cela a été rendu possible grâce au Dr Mehdi Maanaoui, qui a traversé la France pour aller ouvrir tous les dossiers des malades dans chaque centre. Il faut aussi saluer les participants de tous les centres experts qui ont joué le jeu et ont permis à cette étude de voir le jour.

La greffe d’îlots est-elle très répandue en France ?

L'année dernière, une vingtaine de greffes ont été réalisées dans notre pays. Ce nombre augmente régulièrement, et nous avons pour objectif d'atteindre une centaine par an.

Six centres sont autorisés à pratiquer cette intervention : les CHU de Lille, Montpellier, Grenoble, Strasbourg, l'hôpital Édouard-Herriot de Lyon et l'hôpital Saint-Louis à Paris. Deux autres vont bientôt être autorisés à Toulouse et à Nantes. (Depuis l’arrêté du 9 mai 2023, la pratique de la greffe d’îlots de Langerhans est limitée à certains établissements de santé disposant d’un plateau technique et de compétences spécifiques, NDLR.)

Cette activité nécessite aussi des centres de production d’îlots à partir de dons de pancréas. Nous en avons trois à disposition : à Paris, Montpellier et Genève.

Y. Foucher et al., The Lancet, 2024.
S2213-8587(24)00241-9

Focus sur l’étude Kaiak

Dans l’étude de cohorte rétrospective, 40 patients greffés rénaux ayant reçu une greffe d’îlots de Langerhans ont été comparés à 80 patients qui n'ont reçu qu'une greffe de rein, tous opérés entre 2000 et 2017. Un tiers du groupe greffe d’îlots a dû reprendre la dialyse, contre 45 % du groupe contrôle. La mortalité dans le groupe greffe d’îlots était diminuée de 56 % sur une période de 27 ans. Les chercheurs ont également constaté une baisse significative du niveau d’hémoglobine glyquée associée à la greffe d’îlots. Ces résultats confortent ceux d’études précédentes qui ont montré la supériorité de l'association greffe de rein-greffe d’îlots sur l'association greffe de rein-greffe de pancréas ou la greffe de rein seule.

Propos recueillis par Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du Médecin