DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
Arc 1600, jeudi, 9 heures. Le Dr Guillaume Fournier ouvre le cabinet médical d’Arc 1600, l’un des quatre qu’il anime dans la station de Haute Tarentaise, un par niveau d’altitude (1600, 1800, 1950 et 2000), avec ses quatre associés et les deux confrères en renfort pour la saison (voir encadré). Quatre patients l’attendent, en faction devant le panneau « Ouvert de 9 heures à 19 heures, sept jours sur sept ». « Avec ce temps, la journée devrait être tranquille », augure-t-il. Neige et brouillard ensevelissent les pistes. Le thermomètre marque -10 degrés, accentués par une petite bise mordante. Par les baies vitrées qu’escaladent les congères, on devine à peine le téléski de Cachette, à une vingtaine de mètres. « Les premiers patients, c’est classique, commente le Dr Fournier, c’est du médical. »
9 heures 15. Première consultation de traumatologie du jour. Une jeune fille qui souffre d’un genou. Le Dr Fournier prend des radios. Ici, le cabinet est équipé d’un appareil analogique, les autres sont dotés du numérique dernier cri, ce qui facilite les téléconsultations entre médecins de montagne.
9 heures 55. Un grésillement sur la radio de la station a prévenu, deux pisteurs font leur entrée, amenant dans leur barquette Jérôme, 15 ans, qui a chuté dans un creux et souffre des cervicales. Le Dr Fournier, interrompant sa consultation en cours, fait un premier examen. Rassurant.
10heures. Premier renfort, Rachel Galindo, l’infirmière - une autre infirmière et une secrétaire médicale complètent l’équipe. Déjà, elle prépare un patient pour une radio. Pour sa première saison en station, elle se félicite de la diversité des taches. « On fait de la traumato, des radios, mais aussi de la réa. » Dans la salle de soins, un défibrillateur semi-automatique, des bombonnes d’oxygène, des perfuseurs et autres tubes trachéaux. Du matériel pour le moins inhabituel chez un généraliste.
10 heures 15. Radio du genou d’un enfant.
10 heures 24. Le Dr Fournier examine les radios de Jérôme et le rassure. « Rien de cassé, c’est musculaire. »
10 heures 30. Le médecin pose un plâtre sur la cheville d’un « petit kamikaze », encore sonné par sa chute. Rachel a une main sur le téléphone, une autre sur les plaques de radio. Les coups de sonnette n’arrêtent pas.
10 heures 40. Il tombe bien, voilà le Dr Pierre Mennot. Pendant trois heures, les deux médecins et leur infirmière enchaînent consultations, radio, plâtres, bandages, sans désemparer. Avec autant d’angines et rhinites que de traumatismes divers et variés, sur des patients jeunes ou adultes, français ou étrangers, vacanciers argentés mais aussi saisonniers sous le régime de la CMU, la salle d’attente ne désemplit guère.
11heures. Une patiente, la quarantaine, tombée sur le poignet, négocie une attelle de préférence à un plâtre. Dans la salle de soins, Rachel repère le bon modèle, au milieu d’une impressionnante collection de sangles claviculaires, colliers cervicaux, orthèses de cheville articulée, genouillères.
11 heures 05. Retour des pisteurs. Cette fois, ils sont venus en ambulance avec Louise, 8 ans, qui a très mal à l’épaule et réclame sa maman en disant qu’elle a peur. Le Dr Fournier laisse la dame au poignet endolori pour un premier examen. Mais il faut surseoir pour faire des clichés, en attendant que ses parents arrivent.
11 heures 30. Louise est installée sur une table d’examen pour laisser la place à une nouvelle civière, avec Margaux, 15 ans, qui a reçu un choc violent au genou. Sa mère est accourue. La radio est rassurante, elle s’en tire avec une grosse contusion. Deux ambulances à présent stationnent devant le cabinet. On se croirait devant un service hospitalier. Un rayon de soleil finit par trouer la brume.
11heures50.Arrivées des parents de Louise, enfin (ils avaient été orientés par erreur vers le cabinet de 1850). La radio révèle une fracture de l’humérus. Les Drs Fournier et Mennot se concertent. Et ils appellent l’hôpital de Bourg-Saint-Maurice, en vue d’une probable intervention.
12 heures 30. À nouveau, le Dr Fournier appelle le CH. Un patient non-skieur, la cinquantaine, a fait une chute latérale ; au vu des urines, la « fracture » d’un rein est diagnostiquée. Le médecin prévient ambulance et confrères hospitaliers, en urgence. « Dans pas mal de cas, explique-t-il, notre pratique de médecins de montagne nous conduit à des prises en charges extrahospitalières, pour des pathologies qui d’habitude nécessiteraient l’hospitalisation. »
« En tant que correspondant SAMU, poursuit le praticien, nous bénéficions de dotations de drogues hospitalières, comme l’adrénaline ou l’atropine, et, depuis cette année, du ketalar. Entre nous, par messages électroniques, nous échangeons quotidiennement nos expériences sur les indications et les associations intéressantes de ces substances. » Un forum permanent relie les MdeM, qui complète les séances régulières de FMC.
À force d’expériences, des gestes nouveaux sont mis au point, comme des réductions sous anesthésie locale de fractures du poignet déplacé, juste après l’accident, ce qui améliore sensiblement les suites par rapport aux protocoles classiques. « Il m’est arrivé de traiter au cabinet, signale le Dr Mennot, des luxations de l’os du poignet, une lésion rarissime. »
La performance devient extrême quand, sur les indications du 15, les pisteurs viennent chercher les médecins pour les conduire en scooter des neiges sur les pistes. Régulièrement, ils interviennent pour des patients hyperalgiques intransportables, avec des fractures dramatiques. Ou ils sont appelés pour des arrêts cardio-respiratoires. L’un des associés temporaires, le Dr Christophe Bonneau, a ainsi ranimé de justesse un patient victime d’un infarctus le mois dernier. Le Dr Mennot évoque le cas, il y a trois jours, d’un enfant de 12 ans avec un dème de Quincke. « L’hélico ne pouvait pas venir. On l’a perfusé et on l’a sauvé. » « Nous sommes en autonomie totale, observe-t-il, et il vaut mieux n’avoir peur de rien pour pratiquer cette médecine. »
15 heures. Le Dr Mennot a enfin terminé une délicate reconstruction du palais chez un jeune patient amené par les pisteurs. Il avait chuté la tête contre le genou et, dans le choc, son appareil dentaire s’est incarcéré dans les chairs. L’intervention a duré une heure et demie.
18heures45.L’après-midi aura été plus paisible que la matinée. Pas d’affluence de fin de journée, avec les classiques accidents de la dernière descente. La nuit est maintenant tombée sur Cachette et les Arcs 1600. Au-dessus du cabinet, une petite foule applaudit une descente aux flambeaux. Tout à coup, un skieur chute spectaculairement, qui se relève aussitôt. Le cabinet va pouvoir fermer. Ses lumières s’éteignent comme celles d’un service d’urgence hospitalière qui ne dit pas son nom. Le Dr Fournier, pour sa part, n’en a pas fini avec cette journée qu’il annonçait tranquille, il va commencer sa garde nocturne. Une nuit sur quatre, les médecins du cabinet des Arcs s’y relaient.
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