PAR LES Drs GILLES RIOUFOL* ET PIERRE-YVES LEROUX* ET LE Pr JEAN-FRANÇOIS OBADIA*
L’INSUFFISANCE MITRALE est numériquement la deuxième valvulopathie après le rétrécissement aortique. Son incidence augmente avec l’âge et son étiologie est six fois plus souvent dégénérative qu’ischémique. Son pronostic spontané en cas de fuite importante reste sévère, pourtant près d’un patient sur deux ne sera pas opéré. Les critères de non opérabilité sont principalement : la fraction d’éjection (85 % de patients non opérés en cas de FE ‹ 30 %), l`âge (plus de 60 % de patients non opérés après 75 ans), une étiologie ischémique et l’état général.
En alternative à la chirurgie, la place d’une approche percutanée de l’insuffisance mitrale est donc légitime pour ce type de patients conduisant ces dernières années au développement de techniques interventionnelles comme Mitraclip. Cette technique est fondée sur la procédure chirurgicale décrite par Alfieri consistant à suturer bord à bord les feuillets A2-P2 pour corriger la régurgitation dans certains cas d’IM organique (en général associé à une annuloplastie) ou fonctionnelle (en cas d’insuffisance cardiaque sévère). Le principe physiopathologique général est de stopper le cercle vicieux généré par l’insuffisance mitrale qui, en augmentant les conditions de charge participe à la dilatation ventriculaire et à augmenter la fuite valvulaire.
La technique Mitraclip se réalise en salle de cardiologie interventionnelle, utilise un abord veineux fémoral de 24 French et une ponction transseptale pour positionner sous contrôle ETO et radiographique un clip dirigeable dans les trois dimensions, capable de saisir les bords libres des feuillets antérieur et postérieur et de recréer ainsi la suture bord à bord d’Alfieri. Ce clip est mobilisable et susceptible d’être récupéré autant de fois que nécessaire pour obtenir la fixation anatomique idéale en échographie. L’implantation de deux clips peut être nécessaire dans 25 à 30 % des cas pour obtenir l’objectif de diminution significatif de la régurgitation. La procédure, réalisée sous anesthésie générale, est particulièrement bien tolérée et se déroule sans aucune contrainte hémodynamique ou temporelle et l’utilisation de l’ETO 3D simplifie et raccourcit sa durée. À ce jour, plus de 3 000 procédures ont été réalisées dans le monde, la moitié en Europe.
L’étude randomisée nord-américaine EVEREST II a enrôlé 279 patients avec IM ≥ 3/4 (IM organique dans trois quarts des cas) entre Mitraclip et chirurgie avec un ratio de 2 pour 1. Elle montre que pour des patients très sélectionnés sur les critères anatomiques échographiques, Mitraclip est efficace pour diminuer la fuite à ≤ 2/4 dans environ 80 % des cas (100 % pour le groupe chirurgical) avec une morbi-mortalité périprocédurale très faible (15 % contre 48 % pour la chirurgie, principalement du fait du nombre de transfusions sanguines) sans embolisation du clip ni création d’un effet rétrécissement mitral. La surface mitrale diminue globalement de 6 à 3,6 cm2 sans dégradation des résultats à 2 ans de suivi. À 12 mois, cette étude confirme le remodelage ventriculaire inverse (quelle que soit l’étiologie initiale de l’IM, le volume télédiastolique passant d’environ 155 à 130 ml), l’amélioration des symptômes (NYHA grade 1-2 : 98 % contre 88 % dans le groupe chirurgie) et de la qualité de vie. L’implantation d’un clip n’hypothèque pas une chirurgie ultérieure en cas de fuite résiduelle trop importante (dans plus de deux tiers des cas une réparation reste possible) et les données anatomopathologique recueillies alors confirment une cicatrisation totale encapsulante dans les 3 mois, sans inflammation résiduelle.
Avec l’étude EVEREST II, la chirurgie mitrale reste indéniablement la technique de référence et cette situation n’est certainement pas disputée. Néanmoins, l’analyse en sous-groupes fait évoquer une place potentielle du Mitraclip en cas FE basse, d’âge avancé ou d’IM d’origine fonctionnelle, situations cliniques correspondant d’ailleurs aux patients les moins bons candidats à une chirurgie.
Des points restent à évaluer.
Les critères anatomiques très restrictifs de l’étude EVEREST II limitent les indications à un nombre de candidats inférieur à 20 % après analyse ETO. L’expérience européenne montre que ces critères peuvent être allégés avec des taux de succès procéduraux de plus de 95 %. Les améliorations techniques prochaines (accrochage indépendant des deux bords libres ...) devraient simplifier les procédures et élargir encore les indications potentielles.
En cas d’IM organique, la réparation chirurgicale assure de meilleurs résultats et une procédure Mitraclip, du fait de l’absence d’annuloplastie associée, pose la question de la durabilité des résultats. Néanmoins, la prise en charge de patient à (très) haut risque chirurgical (FE très basse, âge avancé, etc.) avec IM organique est une option logique.
En cas d’IM fonctionnelle, la place de Mitraclip est plus prometteuse. En Europe, le registre ACCESS, qui regroupe toutes les procédures, retient cette indication dans plus de 80 % des cas. La preuve du bénéfice clinique à moyen et long terme, fondé sur le raisonnement physiopathologique que la diminution de la fuite mitrale stabilisera ou améliorera une pathologie myocardique intrinsèque, reste néanmoins à confirmer. Seule une étude multicentrique comparant Mitraclip au traitement médical optimal pourra répondre à cette question.
Un travail en équipe.
L’approche percutanée de l’insuffisance mitrale avec Mitraclip a démontré sa faisabilité et sa sécurité. Les indications optimales restent encore à définir. Elle nécessite une collaboration étroite entre cliniciens, échographistes, cardiologues interventionnels et chirurgiens pour la sélection des patients. Sa réalisation technique passe par un travail en équipe dans la salle de cathéterisation entre l’échographiste qui véritablement guide la procédure et le binôme chirurgien–cardiologue interventionnel qui réalise le geste. Chacun doit apprendre à parler le même langage pour une bonne compréhension de l’anatomie en trois dimensions en temps réel, la navigation spatiale dans l’oreillette gauche et le positionnement idéal du clip sur les bords libres de la valve mitrale.
Comme écho à la success story du TAVI, c’est certainement par la cohésion de « heart teams » dédiés à la cardiologie interventionnelle structurelle que la réparation mitrale percutanée pourra évoluer et peut-être demain être intégrée aux stratégies thérapeutiques de nos patients les plus fragiles.
*Hôpital cardiologique, hospices civils de Lyon.
Illustration 1 : contrôle radiologique et échographique immédiatement après l’implantation et le largage d’un Mitraclip (*) chez un patient aux antécédents de TAVI.
Illustration2:imagerie ETO 3D en temps réel du positionnement précis du Mitraclip perpendiculairement aux feuillets antérieur et posterieur
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