Les statines sont entrées en scène il y a plus de 30 ans. En 1987, arrive la lovastatatine suivie de près par la simvastatine (1988), puis la pravastatine (1991)...
Un succès controversé
Les statines montrent d'abord une activité, certes limitée, dans les hypercholestérolémies familiales (pravastatine versus placebo : 0,66 % vs 0,84 % de décès à cinq ans, limite du seuil de significativité), comme en prévention secondaire (simvastatine vs placebo : 13 % vs 15 % de décès à cinq ans, significatif). Au même moment, trois ans après sa commercialisation, la cérivastatine, en association aux fibrates, est retirée précipitamment du marché pour survenues de rhabdomyolyses, insuffisances rénales aiguës et décès. Mais en 1994, l'étude 4S (simvastatine en prévention secondaire) vient bouleverser la donne. Puis, cette classe d'hypolipidémiant devient incontournable avec l’arrivée de nouvelles statines, d’études à l'appui, de la progression de l'obésité, de la baisse des cibles de cholestérol LDL (LDLc) et des recommandations des sociétés savantes… Ainsi, en 2013, 200 millions de personnes sont sous statine dans le monde, dont 6,7 millions de Français. Puis, des controverses éclatent dans plusieurs pays sur leur « bien-fondé ». En France, entre 2013 et 2015, plusieurs livres secouent l'opinion publique : « Cholestérol, mensonges et propagande » et « L’horrible vérité sur les médicaments anticholestérol » publiés par le Pr Michel de Lorgeril, ainsi que « Corruption et crédulité en médecine » du Pr Philippe Even. Ces controverses n'empêcheront pas la progression des prescriptions (des études montrant l’effet délétère de l’arrêt des statines). En 2021, selon l’étude Epi-Phare (2), les prescriptions grimpent en quelques mois de 20 % en France, parallèlement à la pandémie de Covid-19 (responsable d’une augmentation de l’obésité, de l’hypertension artérielle et de l’insulinorésistance, en raison de la sédentarité).
Une méta-analyse sur 1,3 million de sujets
La méta-analyse publiée récemment dans le JAMA porte sur 21 études randomisées contre placebo ou traitement standard parmi les 275 essais sélectionnés dans les bases de données. Ces 21 études, retenues selon la méthode Cochrane, portent pour un tiers sur la prévention primaire, un tiers sur la prévention secondaire, et le dernier tiers sur la prévention primaire et secondaire. « Cette méta-analyse a l'énorme intérêt d'explorer la présentation des données dans les publications d'études cliniques de phase III. Des essais constituant pour nombre d'entre eux les fameuses études pivots logiquement sponsorisées par les laboratoires et destinées au dépôt d'AMM », note d'entrée le Pr Atul Pathak.
Le suivi médian est de 4,4 ans (1,9-6,1 ans). La variation moyenne du LDLc entre le début et la fin de l’étude varie de 0,17 g/l à 0,67 g/l. Le nombre de sujets inclus va de 1 200 à 20 000 par étude, soit au total environ 1,3 million de personnes. « Ce travail est centré sur le bénéfice clinique net : la mortalité, comme seul critère principal, ainsi que les infarctus du myocarde (IDM) et AVC évités en critères secondaires. La baisse de la mortalité est en effet un point très important à prendre en compte, même si en pratique clinique réduire les IDM et les AVC l'est aussi », relève le Pr Pathak.
Une remise en cause du bénéfice
« La méta-analyse met en évidence une réduction globale du risque en valeur absolue de 0,8 % ( 0,4-1,2 %) en mortalité totale, de 1,3 % (0,9-1,7 %) des IDM et 0,4 % (0,2-0,6 %) des AVC. Ainsi, les réductions de risques en valeurs relatives (RR) sont respectivement de 9 % (5-14 %) des décès, 29 % (22-34 %) des IDM et de 14 % (5-22 %) des AVC à 4,4 ans de suivi médian. Quant à la méta-régression examinant l'impact de la réduction en LDLc sur ces évènements, elle est non concluante », résume la Pr Paula Byrne (Center for primary care research, Université de médecine de Dublin, Irlande), premier auteur de ce travail. Ses résultats remettent largement en cause l'ampleur des bénéfices traditionnellement attribués au traitement. « Le bénéfice des statines en termes de mortalité s'avère à la fois fort modeste et non significativement corrélé aux baisses de LDLc. Ces données devraient à l'avenir être communiquées aux patients lorsqu'une prescription est envisagée », concluent les auteurs.
« C'est assez troublant, commente le Pr Pathak. Ce travail rigoureux met en évidence un bénéfice global très limité au sein de cette population, pour ne pas dire presque nul en termes de mortalité, car le risque résiduel baisse ».
Un intérêt plus élevé en cas de haut risque
« Pour autant, il ne faut pas perdre de vue qu'un médicament paraît toujours d'autant plus actif que le risque d'évènements est important, relativise le Pr Pathak. En 10 ans, réduire de 10 % le risque de décès d'individus, qui est de 1 % à 10 ans, ne réduit que de 0,1 % la mortalité en valeur absolue. Quand a contrario dans le haut risque, tel qu’un risque de décès de 10 % à 10 ans, la même intervention réduit de 1 % la mortalité en valeur absolue. Il ne faut donc peut-être pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Que ce soit via une baisse de LDLc ou un autre effet (type anti-inflammatoire), les statines réduisent de manière intéressante le risque d'IDM, d'AVC et de décès cardiaques des patients, en cas de haut risque cardiovasculaire. Quant aux sujets porteurs d'hypercholestérolémie familiale, ils retirent un bénéfice précoce, dès le plus jeune âge, de ces traitements ».
« Les interventions hygiénodiététiques ont également leur intérêt, reconnaît le Pr Pathak. C'est pourquoi la statine ne doit normalement venir qu'en plus des préconisations hygiénodiététiques. La combinaison à l’ézétimibe et aux anti-PCSK9 constitue une autre arme. Mais en pratique clinique, influer sur le mode de vie des patients reste plus facile à dire qu'à faire. Les programmes d'intervention hygiénodiététiques sont trop rarement pris en charge ou même disponibles. La prévention non médicamenteuse reste en effet le parent pauvre du système de soins ».
Vers de nouvelles perspectives thérapeutiques
Concernant le risque athérogène associé au cholestérol, les taux de lipoprotéines A-I (ApoA-I) et B (ApoB), et surtout le ratio ApoB/ApoA-I, sont de meilleurs marqueurs que le LDLc. Mais, à la différence du LDLc, ces taux n'étaient jusqu'ici pas modulables. « Aujourd'hui, plusieurs molécules en développement ouvrent de nouvelles perspectives. Parmi elles, le vupanorsen, un anti-ARNm visant l'angiopoiétine-like-protéine (ANGPTL3), vient de démontrer son effet en clinique sur les triglycérides et le cholestérol non HDL (3). Mais son impact sur le LDLc et l'ApoB est fort décevant. Plus grave, le traitement est associé à une élévation des enzymes hépatiques et de la masse grasse hépatique de mauvais augure. Enfin, la question du bénéfice clinique reste entière. Modifier les taux de ces lipoprotéines va-t-il réduire les évènements ? Cela reste à prouver », explique le Pr Pathak.
Comme le rappelle magistralement l'éditorial (3) accompagnant la publication d'une autre étude ciblant l'ApoA-I (4), « quoi qu'il en soit, le bénéfice restera toujours dépendant du niveau de risque initial. C'est un point crucial et probablement l'un des points où le bât blesse concernant les statines », conclut le cardiologue.
D'après un entretien avec le Pr Atul Pathak (Centre hospitalier Princesse Grace, Monaco)
(1) Byrne P et al. Evaluating the Association Between Low-Density Lipoprotein Cholesterol Reduction and Relative and Absolute Effects of Statin Treatment : A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Intern Med 2022;182(5):474-81
(2) Bergmark BA et al. Effect of Vupanorsen on Non–High-Density Lipoprotein Cholesterol Levels in Statin-Treated Patients With Elevated Cholesterol: TRANSLATE-TIMI 70. Circulation 2022;145:1377-86
(3) Ference BA. The Potential Clinical Benefit of Lowering Lipoprotein(a). JAMA 2022;327:1653-5
(4) Nissen SE et al. Single Ascending Dose Study of a Short Interfering RNA Targeting Lipoprotein(a) Production in Individuals With Elevated Plasma Lipoprotein(a) Levels. JAMA. 2022;327:1679-87
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