Prurigo nodulaire : un risque cardiovasculaire à surveiller

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Publié le 24/05/2024
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Les patients atteints de prurigo nodulaire, maladie dermatologique chronique, doivent-ils faire l’objet d’un suivi cardiologique rapproché ? C’est ce que laisse entendre une vaste étude rétrospective publiée mi-avril dans eBioMedicine qui trouve, parmi une cohorte internationale d’individus touchés par la pathologie, un surrisque d’évènements cardiovasculaires et de décès.

Crédit photo : SCIENCE SOURCE/PHANIE

Le prurigo nodulaire, ou prurigo chronique, est une maladie dermatologique chronique rare, affectant environ sept individus sur 10 000, majoritairement des femmes et des personnes à phototype foncé. Cliniquement, la pathologie se manifeste par l’apparition de nodules hyperkératosique très prurigineux, le plus souvent sur les membres, le dos et le torse, symétriques et qui affectent fortement la qualité de vie.

Cette maladie et son étiologie demeurent relativement mal comprises. Une hypothèse de pathogenèse serait une dérégulation de la relation entre kératinocytes, neurones et système immunitaire – impliquant notamment l’IL-4, l’IL-13 et l’IL-31, et rappelant la dermatite atopique. Ainsi, le traitement repose sur des dermocorticoïdes et antihistaminiques en première ligne, puis sur des immunomodulateurs traditionnels ou UV-thérapie en seconde ligne, et sur des anticorps monoclonaux plus récents tels que le dupilumab. Toutefois, l’efficacité de la prise en charge reste souvent limitée, en particulier pour les formes sévères.

Près de 65 000 patients recrutés

Or, le prurigo nodulaire semble associé à diverses comorbidités dermatologiques mais aussi psychiatriques, pulmonaires, rénales, etc. Et, depuis quelques années, un surrisque de maladie cardiovasculaire (hypertension, cardiopathie ischémique) se dégage. De petites études rétrospectives ont suggéré que les patients touchés seraient plus à risque que ceux atteints d’autres pathologies dermatologiques chroniques (dermatite atopique, psoriasis). Cependant ce surrisque cardiovasculaire restait à confirmer et à préciser dans des cohortes plus larges, de même que l’effet des traitements dermatologiques au regard de ce risque cardiovasculaire.

Une équipe de l’Université de Lübeck a donc conduit une large étude longitudinale à partir des données des dossiers de santé électroniques de patients de 18 à 85 ans du réseau international de recherche en vie réelle TriNetX (qui couvre plus de 100 systèmes de santé dans le monde). En particulier, des informations concernant plus de 64 800 personnes atteintes de prurigo nodulaire ont été recueillies, de même que les données d’un groupe contrôle de plus de 6,4 millions d’individus non touchés par la maladie. Tous les participants ont été suivis plus de 1 000 jours (1 597 dans le groupe prurigo nodulaire, et 1 171 dans le groupe contrôle). L’incidence d’une quinzaine d’évènements cardiovasculaires (Mace, insuffisance cardiaque, arrêt cardiaque, infarctus du myocarde, AVC ischémique ou hémorragique, embolie pulmonaire, etc.) et la mortalité toutes causes, après le diagnostic de prurigo nodulaire, ont été relevées et comparées entre les groupes.

Mace et mortalité augmentés

Résultat : après contrôle, notamment sur les facteurs de risque cardiovasculaires (plus prévalents parmi les patients atteints de prurigo nodulaire inclus dans l’étude), le prurigo nodulaire est bien associé à un surrisque de divers évènements cardiaques. Ainsi, le risque de Mace (infarctus du myocarde, AVC, insuffisance cardiaque, arythmie ventriculaire, mort cardiaque brutale) – et singulièrement le risque d’infarctus du myocarde (HR = 1,11) – apparaissait accru parmi les patients atteints de prurigo nodulaire (HR = 1,12) par rapport aux autres. Des chiffres plus élevés encore ont été retrouvés dans une cohorte complémentaire de plus de 21 500 patients ayant vu leur diagnostic de prurigo nodulaire reconfirmé un mois après le diagnostic initial (surrisque de 16 % de Mace et d’infarctus du myocarde, et de 28 % d’insuffisance cardiaque).

La maladie est aussi liée à un surrisque de diverses maladies cardiovasculaires chroniques, et en particulier de thrombose veineuse (HR = 1,26). Le risque de cardiopathies ischémiques chroniques ou de dysfonctions valvulaires semblait aussi très légèrement accru. Ainsi, parmi les patients concernés, la mortalité toutes causes apparaît également accrue (HR = 1,12 également). Et, globalement, les femmes apparaissent plus touchées par les Mace que leurs homologues masculins. De même que les personnes à phototype clair.

Les traitements peu efficaces sur le risque cardiovasculaire

Les traitements disponibles à l’heure actuelle s’avèrent peu efficaces contre ces comorbidités. Les traitements systémiques classiques semblent sans effet ni sur les comorbidités cardiovasculaires, ni sur le risque de décès. Seul le dupilumab semble bien efficace contre les décès (HR = 0,59). Toutefois, un effet de l’anticorps monoclonal sur le risque cardiovasculaire était difficile à mettre en évidence dans l’étude du fait d’un nombre de cas trop bas (malgré la très vaste cohorte recrutée).

Quoi qu’il en soit, selon la publication, « les professionnels de santé devraient prendre en compte (ce risque cardiovasculaire) lors de la prise en charge des patients atteints de prurigo nodulaire ». Ces maladies devraient bénéficier d’un dépistage et d’une « gestion optimale » de leurs facteurs de risque cardiovasculaire, en particulier en l’attente de traitements spécifiques, efficaces sur le risque cardiovasculaire.

Henning Olbrich, et al. Increased cardiovascular risks and mortality in prurigo nodularis: a global cohort study, eBioMedicine. 103, 105123, May 2024

Irène Lacamp

Source : lequotidiendumedecin.fr