À l'aide d'un outil d'intelligence artificielle

L'ECG seul pour dépister la dysfonction ventriculaire gauche

Publié le 10/01/2019
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Crédit photo : PHANIE

Comment dépister en population la dysfonction ventriculaire gauche (DVG) asymptomatique ? Des cliniciens et des échographistes de la Mayo Clinic montrent dans « Nature Medicine » que l'ECG seul est une option fiable, peu coûteuse et facile grâce à un algorithme d'intelligence artificielle (IA).

Alors que l'IA est en plein développement en cardiologie, « c'est une utilisation très intéressante, qui débouche sur quelque chose de pratique, estime le Pr Gilles Montalescot, cardiologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP). C'est un sacré renseignement. Il est assez séduisant de dépister la DVG avec un seul ECG et de pouvoir même prédire le risque dans les 5 ans ». Un constat partagé par le Pr Ariel Cohen, pour qui « la préoccupation est réelle, pour les cardiologues, de recueillir des informations afin de caractériser les sujets à risque accru pour la prévention ».

Une place à prendre pour le dépistage

La prévalence de la DVG asymptomatique est estimée entre 3 et 6 % en population générale. Aujourd'hui, il n'existe pas d'outil pour le dépistage, le peptide natriurétique (BNP) s'étant révélé peu discriminant et l'échocardiographie peu adaptée. Quant à l'interprétation de l'ECG par un médecin - certains signes associés sont décrits (hypertrophie ventriculaire gauche, troubles de la repolarisation et de la dépolarisation) - « elle reste délicate et aléatoire, même pour des cardiologues entraînés », précise Gilles Montalescot.

La DVG même asymptomatique est accessible à un traitement. « C'est avant tout la recherche de la cause, cardiopathie ischémique, valvulaire, hypertensive, cardiomyopathie, explique Gilles Montalescot. Toutes ces maladies ont des traitements. La DVG asymptomatique n'est pas exactement une maladie, c'est un biomarqueur échographique ».

De plus, ajoute le Pr Ariel Cohen, cardiologue à l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP), « quelle qu'en soit la cause, des classes médicamenteuses ont montré la réduction du risque d'événements et de complications ».

Une méthodologie en 2 temps

Dans leur travail, les cardiologues américains ont entraîné un réseau neuronal à identifier, sur les données de l'ECG seul, les patients ayant une fraction d'éjection (FE) ≤ 35 % chez 44 959 patients ayant eu à la fois un ECG et une échocardiographie cardiaque dans un intervalle de moins de 2 semaines.

Dans un 2e échantillon indépendant de 52 870 sujets, l'équipe de Paul Friedmann a testé la validité de leur outil. Les chercheurs affichent une aire sous la courbe (AUC) pour l'ECG comparable à celles de la mammographie dans le dépistage du cancer du sein ou des PSA dans le cancer de la prostate. « Mais le papier n'indique pas quelles modifications ECG ont été sélectionnées par l'algorithme d'IA », regrettent les deux cardiologues parisiens.

Un risque multiplié par 4 dans les 5 ans

De plus, chez les patients sans DVG, l'équipe montre qu'un dépistage positif est prédictif du risque de survenue, ce dernier étant multiplié par 4 dans les 5 ans. « C'est très intéressant de pouvoir prédire ceux qui vont avoir une DVG, relève Ariel Cohen. Cela permet de sélectionner un groupe de patients exposés à un surrisque ». Pour les auteurs, la valeur prédictive positive, qui n'est pas très bonne (33,8 %), s'explique par la sévérité du seuil choisi pour la FE (≤35 %). « Les résultats auraient été meilleurs avec un seuil < 40 %, abonde Gilles Montalescot. Mais ce n'est pas vraiment un problème ». 

En pratique, cet outil d'IA pourrait se révéler particulièrement intéressant pour des médecins non-cardiologues, « dans les services d'urgences, les centres de prévention ou de médecine du travail », estime Gilles Montalescot. Il est très probable que les appareils d'ECG intègrent cette information dans l'interprétation automatique « sans doute d'ici 2 à 5 ans, tout va très vite, les appareils numériques vont être capables de stocker un nombre considérable de données », projette Ariel Cohen. L'algorithme pourrait être perfectionné à l'avenir, car « rien n'est dit pour l'insuffisance cardiaque à fonction préservée (FE > 50 %) observée chez les sujets diabétiques, les sujets âgés et particulièrement les femmes », pointe-t-il.

Nature Medicine. Attia Z et al. https://doi.org:10.1038/s41591-018-0240-2

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin: 9714