Que va devenir la télésurveillance de l’insuffisance cardiaque (IC) en France ? Cette question suscite de vives inquiétudes dans le monde de la cardiologie. « On est face à un discours particulièrement contradictoire des pouvoirs publics. D’un côté, ils font la promotion de la télémédecine présentée comme un outil d’avenir, mais de l’autre ils mettent en grand péril le développement de la télésurveillance de l’IC dont l’intérêt est pourtant unanimement reconnu », indique le Pr Thibaud Damy (hôpital Henri Mondor, Créteil) ancien président du groupe insuffisance cardiaque de la Société française de cardiologie (SFC).
La télésurveillance de l’IC a été expérimentée et financée, au départ, dans le programme ETAPES de l’Assurance-maladie. « Cela consiste principalement à surveiller de manière quotidienne le poids du patient, afin de détecter toute montée des œdèmes et de l’eau. À partir d’une prise de poids supérieure à deux kilos, on se doit d’intervenir pour améliorer le traitement diurétique. Mais cela nécessite un travail qui s’étale sur une semaine. Il faut vérifier l’origine de la prise de poids, modifier le traitement, puis surveiller la fonction rénale et le potassium, afin d’éviter une hospitalisation de dix jours en moyenne. Tout cela demande au soignant environ quatre heures par semaine. Et le financement prévu de ce temps est insuffisant », explique le Pr Damy, en soulignant la nécessité de mettre en place une majoration pour les patients les plus sévèrement atteints. « Sans cette majoration, on sera obligé d’exclure de la télésurveillance les patients nécessitant un investissement important en temps de travail. Cela n’est pas acceptable », ajoute le Pr Damy.
Gare au passage en droit commun
Depuis des mois, les cardiologues alertent sur le passage dans le droit commun, en principe à partir de juillet prochain, du financement de cette télésurveillance. La mobilisation du monde de la cardiologie a été déclenchée par la parution d’un décret le 30 décembre 2022, relatif à la prise en charge et au remboursement des activités de télésurveillance médicale. « Au sein d'un système de santé en souffrance à tous les étages, quel est alors le sens de ce décret ? s’interrogeait en janvier le Conseil national professionnel cardiovasculaire, la SFC et les associations de patients, dans une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron. En effet, ce décret augmente la charge administrative (facturation mensuelle au lieu de semestrielle, surveillance des échéances de renouvellement) et le transfert des tâches jusque-là assurés par l'industriel (surveillance du recueil du poids effective, accompagnement thérapeutique mensuel et filtrage des alertes techniques…). Il reporte ainsi cette charge supplémentaire sur les soignants, dont le financement par le projet ETAPES était déjà jugé insuffisant pour accomplir leur part ».
« La télésurveillance de l'IC est une innovation majeure, permettant à tous les patients (quels que soit leur âge et leur fragilité) d’accéder à un soin spécialisé, sur l’ensemble du territoire. En impliquant à la fois les cardiologues de ville et ceux exerçant en établissement, elle est une aide précieuse dans la structuration du parcours de soins, souvent chaotique des patients avec une IC, soulignaient les auteurs de cette lettre ouverte. Dans ce contexte, la communauté cardiologique ne peut et ne veut pas assurer la responsabilité médico-légale de l’échec de la télésurveillance de l’IC, et faire croire aux patients à une télésurveillance effective alors qu’elle ne pourra pas l’être avec les moyens proposés ».
Une priorité de santé publique
Selon le Pr Damy, ces atermoiements sont d’autant plus incompréhensibles que la prise en charge de l’IC est une priorité de santé publique. « On sait que cette pathologie est à l’origine de 51 % des hospitalisations évitables en France. La télésurveillance permet d’éviter les réhospitalisations, qui arrivent dans les trois mois chez 25 % des patients et dans l’année dans 45 % des cas », précise-t-il, en rappelant que l’Assurance-maladie a lancé en septembre une campagne pour sensibiliser aux signes d’alertes de l’IC. « Aujourd’hui, l’IC touche 1,5 million de Français, notamment les plus de 60 ans. Avec le vieillissement de la population, ce chiffre pourrait croître de 25 % tous les quatre ans. Malgré sa progression dynamique, l’IC et ses symptômes restent peu connus de la population. Ainsi, en France, entre 400 000 et 700 000 personnes en souffrent sans le savoir », stipule l’Assurance-maladie.
D’après un entretien avec le Pr Thibaud Damy, hôpital Henri Mondor (Créteil)
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