Préserver la fertilité fait partie du soin

Publié le 09/06/2023
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Les progrès thérapeutiques s’accompagnent de l’arrivée d’une population de personnes guéries du cancer, en âge de procréer. La préservation de leur fertilité est un élément à part entière de leur prise en charge, qui contribue à la reprise du parcours de vie.
Bien évaluer la réserve ovarienne

Bien évaluer la réserve ovarienne
Crédit photo : SCIENCE SOURCE/PHANIE

Depuis 2004, la loi mentionne explicitement que, lorsqu’une prise en charge médicale est susceptible d’altérer prématurément sa fertilité, toute personne peut bénéficier du recueil et de la conservation de tissu germinal en vue de la réalisation ultérieure d’une assistance médicale à la procréation (AMP).

Après une longue période de recherche, la cryoconservation de tissu ovarien est devenue une activité de routine, et peut-être proposée à toute patiente qui en a besoin. C’est l’Agence de la biomédecine (ABM) qui a, depuis longtemps, piloté le déploiement de centres de préservation de la fertilité sur l’ensemble du territoire. Tous sont maintenant bien implantés, mais la prise en charge demeure parfois un défi pour les professionnels de la santé, en particulier chez les très jeunes enfants, les adolescents et les jeunes adultes.

Au-delà de l’exploit technique et organisationnel, la préservation de la fertilité soulève encore de nombreuses questions, tant médicales que sociologiques. Les réponses peuvent être entrevues avec une approche intuitive, mais elles doivent s’appuyer sur une recherche rigoureuse, quels que soient les âges ou les indications thérapeutiques, pour tenir compte de la qualité de vie, prendre en compte les aspects psychologiques et informer de la meilleure façon toutes les personnes qui devront faire un choix éclairé avant leur traitement. En effet, dans plus de 90 % des cas de recours à la préservation de la fertilité, l’indication est un traitement oncologique. Le Plan cancer a intégré ce point, et propose que toutes les patientes de moins de 40 ans soient adressées en consultation d’oncofertilité avant de recevoir un traitement oncologique.

Cancer mais pas que

Il n’y a pas de raison pour que cette démarche ne soit pas proposée aux personnes souffrant d’autres maladies qui affrontent les mêmes difficultés, comme la drépanocytose ou la thalassémie, lorsqu’il est fait appel à des greffes de cellules souches hématopoïétiques. Ces approches innovantes reposent souvent sur un conditionnement gonadotoxique, et dont le déploiement est aujourd’hui plus dépendant des difficultés de fonctionnement des hôpitaux que de la volonté des acteurs. 

Dans d’autres modalités thérapeutiques, pour les maladies auto-immunes comme la néphrite lupique ou, indépendamment des thérapeutiques, dans certaines maladies génétiques associées à une insuffisance ovarienne prématurée (IOP), ou encore après une ovariectomie précoce, la préservation de la fertilité doit faire partie intégrante du projet thérapeutique.

161 enfants en 2020

Les enquêtes que nous avons menées avec l’Inca sont éloquentes. Plus de 17 000 personnes sont susceptibles de bénéficier d’une consultation d’oncofertilité chaque année. Il ne s’agit pas d’un luxe. Près de 300 de ces démarches ont déjà permis la naissance d’un enfant après un parcours d’autotransplantation orthotopique de tissu ovarien. Ces chiffres continuent d’augmenter, et les équipes, auxquelles il faut rendre hommage, sont en train de relever le défi.

Fin 2020, plus de 83 000 personnes disposaient de gamètes, d’embryons ou de tissus germinaux conservés. Pour la seule année 2020, 161 enfants sont nés après conservation de spermatozoïdes, 13 après conservation d’ovocytes, 30 à la suite à d’une congélation embryonnaire, 5 après greffe de tissu ovarien.

Les aspects scientifiques sont mûrs, et les techniques adaptées à la démarche. Aujourd’hui, le recours à un greffon ovarien permet d’envisager une grossesse plus de trois ans après un traitement gonadotoxique. Cette durée continue de s’allonger, tout comme le taux de survie après un cancer, qui dépasse les 80 %.

Des questions en suspens

Mais, comme souvent, le progrès s’accompagne de plus de questions que de réponses et, à la projection Kantienne de la conservation de soi et de la dignité, on peut ajouter les raisons d’espérer que la recherche répondra aux questions en suspens, pour le développement de la spermatogenèse in vitro, sur la qualité de la réserve ovocytaire chez les adolescentes, l’ovaire artificiel, mais aussi, dans les sciences humaines, sur l’effet de la maturité sexuelle sur les possibilités de prélèvement, les aspects psychologiques des démarches de préservation de la fertilité, ou encore la modélisation du désir d’enfant dans le parcours de santé.

Concernant les nouvelles thérapies ciblées (anticorps monoclonaux ou inhibiteurs de la tyrosine kinase) du cancer, si aucune étude ne décrit d’IOP survenue après traitement, le délai nécessaire avant autorisation pour une grossesse a un impact physiologique sur la réserve ovarienne. Ainsi, s’il est difficile de recommander, ou non, d’avoir recours à une préservation de la fertilité dans ce cadre, la stratégie doit être discutée au cas par cas, notamment en fonction de la durée prévisible du traitement. De même, nous manquons de données chez l’enfant concernant l’impact des nouvelles thérapies sur la spermatogenèse et la fertilité.

Quelle que soit la stratégie choisie, n’oublions pas que cette démarche n’est pas un but en soi, et que la préservation de la fertilité est d’abord destinée à permettre à ceux qui en ont besoin, de devenir des parents. Les enfants qui viennent au monde après ces démarches, doivent aussi faire l’objet de toutes les attentions, une autre des missions de l’ABM.

Exergue : 17000 personnes pourraient bénéficier d’une consultation d’oncofertilité chaque année

Directeur général adjoint chargé des affaires médicales et scientifiques de l’agence de la biomédecine

Pr Michel Tsimaratos

Source : Le Quotidien du médecin