L’étude internationale randomisée de phase 3 (IMCgp100-202), menée auprès de 378 patients atteints de mélanome uvéal métastatique, démontre pour la première fois que le tebentafusp augmente significativement la survie globale des patients, par comparaison au groupe contrôle traité au choix de l’investigateur (pembrolizumab, ipilimumab ou dacarbazine) [1].
Avec 500 à 600 nouveaux cas par an en France, le mélanome uvéal ou choroïdien est un cancer rare (moins de 5 % des mélanomes), bien différent des mélanomes cutanés, tant au plan clinique, biologique que génétique. Les traitements ciblés (anti-
BRAF) ou l’immunothérapie (anti-CTLA-4, anti-PD1/PDL-1) utilisés dans le mélanome cutané métastatique ne sont pas efficaces. Les facteurs de risque ne sont pas les mêmes : le mélanome uvéal n’est pas lié à l’exposition aux UV. La diffusion métastatique se fait par voie hématogène et est essentiellement hépatique.
« Jusqu’à présent, il y a eu peu d’essais cliniques dédiés à cette tumeur rare. L’Institut Curie, centre de référence national et européen pour la prise en charge du mélanome uvéal dans le cadre des réseaux Melachonat et Euracan, est reconnu au niveau international pour son expertise dans ce cancer », souligne la Dr Sophie Piperno-Neumann, oncologue médicale et coordinatrice de l'étude.
Le traitement initial (énucléation ou radiothérapie) dépend de la taille et de la localisation de la tumeur oculaire. L'efficacité est bonne (moins de 5 % de rechutes locales). Cependant, environ la moitié des patients va développer des métastases, avec une survie globale de moins d’un an. « Sur le plan génétique, il apparaît que la perte du chromosome 3 et le gain du 8q dans la tumeur oculaire sont associés au risque de métastases, pour lesquelles il n’existe actuellement aucune thérapie réellement efficace. Différents traitements (systémiques ou loco-régionaux) ont été testés sans démontrer de gain en survie », explique la spécialiste de Curie.
Le tebentafusp diminue le risque de décès de moitié
Le tebentafusp est une nouvelle immunothérapie, la première molécule de cette classe à être utilisée dans une tumeur solide rare. Il s’agit d’une protéine de fusion bispécifique associant un récepteur de lymphocytes T de haute affinité ciblant la glycoprotéine gp100 présente sur les cellules de mélanome et un anti-CD3 redirigeant les lymphocytes T via le complexe formé par gp100 et le complexe HLA. Ainsi, le tebentafusp peut être utilisé chez environ 50 % des patients, ceux ayant un sérotype HLA-A*02:01, nécessaire pour déclencher cette immunité.
Dans l'essai, la survie à un an s'est révélée de 73 % pour les patients ayant reçu le tebentafusp, contre 59 % pour le groupe contrôle (risque de décès HR : 0,51 ; IC 95 % 0,37-0,71, p < 0,001). De plus, 31 % des patients ayant reçu le tebentafusp n’ont pas rechuté à six mois, contre 19 % des patients dans le groupe contrôle.
« Ces résultats sont très enthousiasmants, se réjouit la Dr Piperno-Neumann. Le tebentafusp se révèle être le premier traitement avec un réel bénéfice en termes de survie globale chez des patients atteints de mélanome uvéal métastatique. Cela va changer les pratiques en situation avancée de la maladie, mais aussi possiblement en situation adjuvante après traitement local de la tumeur oculaire dans le but de diminuer le risque métastatique. »
Globalement bien toléré
Le traitement est globalement bien toléré. Les principaux effets secondaires sont d’ordre cutané (rash cutané et prurit) ainsi qu’un syndrome de relargage des cytokines (fièvre, hypotension, hypoxie) lors des premières injections hebdomadaires, qui disparaît après quatre semaines de traitement. Aucun effet sévère ayant nécessité l’arrêt du traitement ni décès n’a été rapporté.
« Le gain en réponse objective ou en survie sans progression est certainement mal évalué dans cette étude car les critères Recist ne sont sans doute pas la meilleure façon de mesurer l’effet de ce type de traitement et le bénéfice pour le patient. Il faut travailler sur d’autres méthodes ou critères d’évaluation », précise l'oncologue.
Dernièrement, une présentation à l’ESMO 2021 a rapporté que l’ADN tumoral circulant est associé à la survie indépendamment de la réponse objective au tebentafusp (2). « La réduction précoce de l’ADN circulant peut être un biomarqueur de l’efficacité du tebentafusp plus adapté », estime la Dr Piperno-Neumann.
Le tebentafusp ouvre le champ à d’autres essais dans d’autres tumeurs solides. Actuellement disponible en autorisation temporaire d'utilisation (ATU) à l’Institut Curie et dans les centres ayant participé à l’étude de phase 3, il devrait être plus largement disponible dans les mois à venir.
(1) P. Nathan et al., N. Engl J Med 2021 ; 385 :1196-1206
(2) Abstract 17570, ESMO 2021
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