LE QUOTIDIEN : En tant que chirurgienne gynécologique, comment en êtes-vous venue à faire de la recherche sur les polluants organiques persistants (POPs) ?
Dr LOUISE BENOIT : Souvent, des patientes sans facteur de risque évident me questionnent sur l’origine de leur cancer et recherchent des informations sur le rôle de l’environnement.
Les polluants organiques persistants (POPs), retrouvés plusieurs années après leur émission, lipophiles et donc stockés par le tissu adipeux, sont suspectés de favoriser la survenue de plusieurs cancers, dont celui du sein. Leur influence pourrait-elle s'étendre à la progression métastatique ? C'est la question centrale qui a guidé mes recherches.
Dans le service de chirurgie oncologique gynécologique et du sein de l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP), la Dr Meriem Koual, chirurgienne et chercheuse en toxicologie, a ouvert la voie avec l’approche épidémiologique à travers la cohorte Metapop dans le cancer du sein.
Parus en 2019, les résultats avaient fait grand bruit : le dosage de 49 POPs dans le tissu adipeux péritumoral a mis en lumière une association entre la présence de métastases ganglionnaires et les taux de dioxine (2) et de deux PCB (3). Les patientes avec un indice de masse corporelle (IMC) élevé (> 25 kg/m2), dont les concentrations de dioxine dans le tissu adipeux étaient les plus fortes, avaient 4,48 fois plus de métastases que celles présentant de faibles concentrations. Un constat qui corrobore le tableau clinique souvent plus péjoratif chez les patientes en état d’obésité.
J’ai pris la suite en travaillant sur les mélanges de polluants. En effet, à l’échelle de toute une vie, les expositions sont multiples, d'origine professionnelle, alimentaire, aérienne, parfois dès le stade in utero avec des effets retardés. Impossible pour les patientes de toutes se les rappeler ni même de les identifier. Pourtant, l’effet mélange est la réalité. De plus, les polluants peuvent interagir entre eux de façon pas forcément additive ou linéaire : c'est l'effet dit « cocktail ».
Après l’épidémiologie, quelles approches avez-vous mises en œuvre ?
J’ai réalisé un travail de recherche fondamentale, in vitro, sur des cellules en culture. Dans les tumeurs de plus mauvais pronostic, des cellules souches (cancer stem cells ou CSC) s’autorenouvellent, prolifèrent extensivement et résistent aux traitements. La Dr Koual avait mis en évidence que l’exposition des cellules cancéreuses mammaires à la dioxine dans le micro-environnement tumoral adipeux favorise l’apparition de CSC.
Par la suite, j’ai montré qu’un mélange de polluants (à savoir ici la fumée de cigarette) favorisait le phénotype métastatique des cellules. Ces résultats fondamentaux viennent en appui d’observations cliniques selon lesquelles le tabagisme, qui n’est pas retenu comme facteur de risque de survenue du cancer du sein, pourrait participer à son agressivité.
Vous avez travaillé sur le récepteur d'aryl hydrocarbone (AhR)…
J’ai effectué un échange international en Belgique (Vrije Universiteit Brussel) pour étudier in silico les liens entre le récepteur d'aryl hydrocarbone (AhR) - ce récepteur de xénobiotique - et le cancer du sein. Les ligands identifiés pour l'AhR sont entre autres la dioxine, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et certains PCB.
Une étude approfondie de la littérature utilisant des outils bio-informatiques avancés a montré un lien entre l’activation de l’AhR et des mécanismes impliqués dans la progression du cancer. Ces travaux ouvrent des pistes de recherche : le récepteur AhR est-il impliqué dans l’acquisition de caractéristiques « cellules souches » (CSC) et joue-t-il un rôle dans la résistance aux anticancéreux ?
Vous publiez, et ensuite ?
Meriem Koual m'a sollicitée pour participer au programme de l’Institut des défis (IDD), qu’elle venait d’intégrer, en vue d'enseigner les risques environnementaux aux futurs médecins. Cela a pris la forme d'un Mooc composé de neuf capsules vidéo sous forme d’interview d’experts. Je me suis chargée de la capsule « POPs et perturbateurs endocriniens ».
Sur cette même lancée pédagogique, j’ai participé à la première session du labo des intrapreneurs soignants (mis en place par l’AP-HP), un dispositif de recherche-action en santé environnementale à destination, cette fois, des patients. Nous avons identifié 10 domaines (hygiène, nettoyage, cuisine, vêtements…) où il existe des actions simples et pertinentes en termes de protection vis-à-vis des polluants. Une affiche explicative avec le QR code de courtes vidéos est à disposition des patientes en salle d’attente.
(1) Benoit L et al, Bulletin de l'Académie nationale de médecine, oct 2023, vol 207, issue 8, pages 1111-1119
(2) déchets de procédés d’incinération
(3) polychlorobiphényls générés par les procédés industriels, interdits mais toujours présents dans l’environnement
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024