LE QUOTIDIEN : Quarante pourcents des cancers seraient évitables. Que sous-entend cette affirmation ?
Axel Kahn : Les cancers sont dus à des mutations génétiques. Elles sont le plus souvent aléatoires, mais elles peuvent aussi être provoquées par différents agents, tels que le tabac. On estime que 40 % des cancers liés à ces mutations évitables peuvent être prévenus : c'est un chiffre consensuel au niveau international, qui a été établi à partir d'extrapolations.
Quels sont les facteurs de risque avérés ?
Quatre-vingt-quinze pour cent des cancers évitables pourraient être prévenus en ne fumant pas, en ne buvant pas d'alcool, en faisant du sport et en surveillant son poids. C'est la raison pour laquelle la Ligue, qui ne néglige aucun facteur potentiellement cancérigène, consacre l'essentiel de son action contre le tabac et l'alcool.
Le tabac reste le pourvoyeur numéro 1 de cancers évitables, avec 46 000 décès par cancer an. Il est responsable du cancer du poumon, mais aussi de la gorge, l'estomac, la vessie et du sein notamment. Malheureusement, et c'est un drame, le nombre de cancer du poumon augmente de 5,3 % par an chez les femmes. Dès 2020, le cancer du poumon pourrait devenir la première cause de mortalité par cancer chez les femmes, devant le cancer du sein.
L'alcool est à l'origine de 16 000 décès par cancer par an, et est impliqué notamment dans les cancers de la gorge, ORL, du foie, colorectal et du sein. L'obésité est la cause de 3 600 décès par cancer par an. Elle intervient en particulier dans les cancers du sein, de l’œsophage, colorectal, du pancréas et du foie.
L'exposition au soleil et les infections virales (papillomavirus, virus d'Epstein Barr et virus de l'hépatite B et C) sont aussi des facteurs de risque reconnus, auxquels s'ajoutent les facteurs environnementaux, bien que tous ne soient pas avérés.
La mesure préventive de loin la plus efficace contre le cancer, est l'activité physique et le sport. Les promouvoir est donc extrêmement important.
Le gouvernement ne portera pas le Dry January à la française alors qu'il en avait été question. Comment a réagi la Ligue face à ce désengagement ?
La Ligue s'associe au remplacement du mois sans alcool qui devait être mené par l'agence Santé publique France par un Dry January associatif. Cette mobilisation de la société civile à travers un front associatif uni est essentielle pour prendre le problème à bras-le-corps, alors que nous ne sommes pas aidés par les pouvoirs publics dans la lutte contre l'alcool.
La France est anormalement inefficace dans sa lutte contre l'alcool, pour des raisons que l'on connaît bien, dues à l'importance culturelle et économique de la viticulture dans notre pays. Il y a là un trou noir de la santé publique. Le fait de laisser par ailleurs en accès extrêmement bon marché ces bombes à retardement alcoolisées que sont les bières de 500 ml dont le degré alcoolique est de 10 à 17 ° est inexcusable. J'ai alerté sur ce sujet fin septembre.
Concernant le tabac, le gouvernement s'est davantage engagé…
Effectivement, en matière de tabac, nous sommes sur la même longueur d'onde que les pouvoirs publics, contrairement à l'alcool. Le paquet banalisé à 10 euros est la mesure la plus efficace pour lutter contre le tabagisme.
Du côté de la Ligue, nous cherchons à convaincre encore davantage de municipalités d'instaurer des espaces sans tabac, mais certaines restent encore réfractaires. Il existe aujourd'hui plus de 2 000 espaces sans tabac en France. L'idée est de dénormaliser la consommation de cigarettes aux abords des écoles, dans les parcs…
De quelle façon s'engage la Ligue concernant les autres facteurs de risque ?
En novembre, la Ligue s'est associée à Foodwatch et Yuca pour adresser à la ministre de la Santé une pétition en faveur d'une alimentation sans nitrites ajoutés. J'ai par ailleurs créé en prenant la présidence de la Ligue un comité de pilotage Alimentation et Cancer, pour faire la lumière sur l'implication de l'alimentation dans le cancer. Ce n'est pas une cause majeure de cancers évitables, mais les Français le pensent différemment, et il nous faut répondre à leurs questionnements.
Par ailleurs, nous lançons avec l'institut national du cancer (INCa) et la fondation ARC pour la recherche sur le cancer des programmes d'actions intégrées de recherche (PAIR) sur le thème obésité et cancer.
Quel message souhaitez-vous faire passer aux médecins ?
En tant que médecin, je dirai à mon patient : « Ne fumez pas, buvez modérément, mangez équilibré avec une alimentation riche en fruits et légumes, faites du sport, restez mince, faites vacciner vos garçons et vos filles entre 11 ans et 14 ans contre le papillomavirus, faites vous dépister pour le virus de l'hépatite B en cas de terrain à risque, soyez prudent concernant l'exposition au soleil, mais vivez bien par ailleurs, et vous pourrez éviter presque la moitié des cancers ».
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