En un siècle, les traitements du cancer ont grandement évolué, par révolutions successives : chirurgie d’ablation de tumeur, avènement de la radiothérapie dans les années 1920 à 1930, essor de la chimiothérapie après la seconde guerre mondiale, puis arrivée des thérapies ciblées, dirigées spécifiquement contre certaines altérations cellulaires favorisant la multiplication et la dissémination cellulaire tumorale, dans les années 1990. Des dizaines de traitements de ce type ont alors été commercialisés dans certains cancers, en cas de présence de l’altération moléculaire ciblée – « comme les traitements ciblant HER2 dans les cancers du sein exprimant HER2, ou ciblant l’EGFR dans certains cancers du poumon ayant une mutation de l’EGFR », rappelle le Pr Christophe Le Tourneau, oncologue et chef du département des essais cliniques précoces et de l’innovation (D3i) à l’Institut Curie (Paris).
Neuf traitements disponibles contre des altérations moléculaires aux États-Unis
À la fin des années 2010, une révolution concernant la mise sur le marché de ces thérapies ciblées s’est produite aux États-Unis. « En 2017, sur la base d’essais cliniques conduits auprès de patients présentant une altération moléculaire donnée, indépendamment du type de cancer, la FDA a approuvé un médicament uniquement sur la base de la présence de l’altération moléculaire, quelle que soit la localisation tumorale », se souvient le Pr Le Tourneau. Si bien qu’aujourd’hui, neuf traitements sont disponibles contre certaines altérations moléculaires, indépendamment du type de cancer. Mais ce, uniquement Outre-Atlantique.
En effet, le vieux continent n’a pour le moment pas suivi cette évolution. « En Europe, les agences de régulation continuent d’exiger d’avoir la preuve que les candidats médicaments fassent mieux que les thérapies standards, type de cancer par type de cancer », constante le Pr Le Tourneau. Problème : certaines altérations se révèlent si rares qu’il apparaît presque « impossible » de mener des essais localisation par localisation, déplore-t-il, relevant « un décalage entre avancées de la science et méthodes des agences de régulation ».
Nouvelle ontologie
Et pour cause : le changement de logique est complet. « On assiste vraiment à l’arrivée d’une nouvelle ontologie, d’une nouvelle classification de certains cancers et donc de leur prise en charge : au lieu de fonder les référentiels de traitement selon la localisation tumorale, on s’oriente aujourd’hui pour certains cancers vers une classification moléculaire, transversale », insiste le Pr Le Tourneau. Par exemple, l’entrectinib pourrait être utilisé en cas de translocation NTRK, quelle que soit la localisation de la tumeur concernée par cette altération, ou le pembrolizumab en cas d’instabilité microsatellitaire, là encore, quelle que soit la localisation de la tumeur.
Reste aux agences de régulation à s’adapter à cette nouvelle ontologie ; à cesser d’exiger des essais cliniques comparatifs contre les traitements standards localisation par localisation. « Il faut accepter de faire abstraction de la localisation de la tumeur pour certains cancers caractérisés par une altération moléculaire bien précise, et donc accepter que selon cette nouvelle ontologie, qu’il n’y a pas encore de standard de traitement défini », insiste le Pr Le Tourneau.
De nouvelles méthodologies requises
Pour ce faire, de nouvelles méthodologies permettant d’évaluer ces médicaments. Une piste prometteuse — qui reste toutefois à valider — concerne l’utilisation de chaque patient comme son propre témoin. « Chez un patient donné, on peut comparer l’efficacité d’un traitement A et un traitement B, en considérant que celui qui a été utilisé le plus longtemps est celui qui a le mieux fonctionné », explique le Pr Le Tourneau.
Une autre solution concerne le recours à des groupes historiques contrôle — prônés par les agences de régulation. « Mais il faut des bases de données de bonne qualité, renseignant toutes les données d’histoire de la maladie pour chaque patient d’un point de vue prospectif, ce qui nécessite beaucoup de moyens », note le Pr Le Tourneau. Et, au-delà de difficultés pratiques, ces cohortes soulèvent des questions méthodologiques. « Les patients qui ont reçu un médicament dans le cadre d’un essai clinique sont différents de ceux de la vie réelle », observe l’oncologue. Des industriels tenteraient toutefois de constituer de telles cohortes.
Sous ces considérations méthodologiques pourraient se cacher des problématiques médicoéconomiques, qui expliqueraient le retard pris par l’Europe. « Aux États-Unis, comme il revient à des assurances privées de rembourser les médicaments, il n’existe pas de lien entre mise sur le marché d’un médicament et son poids sur les dépenses publiques, alors qu’en Europe, où les systèmes de santé paient les nouveaux traitements — souvent très onéreux —, les coûts publics induits par l’arrivée de tout nouveau médicament suscitent davantage de prudence », entrevoit le Pr Le Tourneau.
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