Faute de dépistage organisé, la France reste un pays où la majorité des cancers du poumon est diagnostiquée à un stade métastatique : 30 000 sur les 48 000 détectés chaque année. Dans 80 % des cas, il s’agit de cancers du poumon non à petites cellules, dont 20 à 25 % présentent des mutations de l’EGFR, ALK, BRAF ou encore ROS1. Les progrès réalisés dans les immunothérapies (pour les cancers sans anomalie répertoriée) et les thérapies ciblées ont permis de faire passer de 10 à 20 % la survie à deux ans des patients atteints de cancer avancé.
« Ces chiffres cachent de fortes disparités, prévient le Pr Nicolas Girard, pneumologue, chef du département d’oncologie médicale à l’Institut Curie lors d’un point presse à l’occasion du congrès européen sur le cancer du poumon organisé cette année à Paris. Sous immunothérapie, la survie à deux ans atteint environ 15 %, alors que les patients atteints de mutation de l’EGFR ont désormais des médianes de survie de l’ordre de cinquante mois. » Pour une partie des patients, l’arrivée des thérapies ciblées représente une révolution qui va se poursuivre à en croire les résultats présentés à Paris.
L’osimertinib est le traitement de référence des cancers avec mutation de l’EGFR mais des résistances finissent par se développer
Associer immunothérapie et thérapie ciblée
Les résultats les plus avancés concernent de nouvelles molécules indiquées dans les cancers métastatiques avec mutation de l’EGFR (15 % du total des cancers du poumon). Aujourd’hui, l’osimertinib (inhibiteur oral de la tyrosine kinase de l’EGFR de troisième génération) est le traitement de référence mais des résistances finissent toujours par se développer. Ainsi, l’une des études phares du congrès – l’essai de phase 3 Mariposa – montre la supériorité en première ligne d’une alternative à l’osimertinib dans les cancers avancés avec mutation de l’EGFR : l’association d’une immunothérapie, l’amivantamab (déjà autorisée en France dans le cancer bronchique) et d’une thérapie ciblée, le lazertinib (autorisé dans l’Union européenne mais pas encore disponible en France).
Sur les 1 074 patients recrutés, 429 ont reçu une association amivantamab + lazertinib, 429 l’osimertinib seul et 216 le lazertinib seul. Au terme d’un suivi médian de 37,8 mois, le risque de décès était significativement réduit de 25 % dans le groupe bithérapie avec une durée médiane de survie qui n’est pas encore atteinte, alors qu’elle est de 36,7 mois dans le groupe osimertinib.
En extrapolant les dynamiques des courbes de survie, les auteurs s’attendent à une augmentation de la survie d’un an grâce à la nouvelle combinaison thérapeutique. « L’association d’amivantamab et de lazertinib est la première à significativement réduire le risque de décès, par rapport à l’osimertinib », se réjouissent-ils.
Dans une autre étude de phase 2, l’essai Etop-Amaze, l’amivantamab et le lazertinib ont cette fois été utilisés en association avec le bévacizumab pour traiter des cancers du poumon non à petites cellules avec une résistance acquise aux inhibiteurs de la tyrosine kinase de troisième génération. Sur les 60 patients traités pendant douze semaines, 20 d’entre eux avaient une réponse confirmée à la douzième semaine de suivi, pour une durée de réponse médiane de 13,9 mois, une espérance de vie sans progression de 10,9 mois et une espérance de vie de 15,5 mois. « La combinaison d’amivantamab, de lazertinib et de bévacizumab représente une alternative prometteuse à la chimiothérapie », qui est généralement proposée aux patients qui ne répondent plus à l’osimertinib, concluent les auteurs.
Renouveler l’efficacité de l’osimertinib
L’étude internationale Savannah, quant à elle, démontre l’intérêt de l’association de savolitinib (inhibiteur de c-MET mis au point par AstraZeneca) et d’osimertinib chez les patients atteints de cancer non à petites cellules avec mutation de l’EGFR devenus résistants à l’osimertinib. Une réponse au traitement était observée chez 56 % des 101 patients de l’étude selon les investigateurs (55 % selon un panel d’experts indépendants). La durée de la réponse et la survie sans progression étaient respectivement de 7,1 et 7,4 mois selon les investigateurs (de 9,9 et 7,5 mois selon le panel d’experts). Les auteurs se félicitent de « la bonne tolérance, de la pertinence clinique et de la réponse durable » de l’association savolitinib/osimertinib. Un essai randomisé de phase 3, l’étude Saffron, est en cours.
Également présentée en session plénière, l’étude Orchad s’intéresse à un autre type d’association, entre un anticorps monoclonal, le datopotamab deruxtecan (Dato-DXd) et l’osimertinib. Pour rappel, le Dato-DXd est un anticorps monoclonal dirigé contre l’oncogène TROP2, combiné à la chimiothérapie (l’anticorps véhiculant ainsi cette dernière jusqu’à la cellule cancéreuse). Orchad est une étude de phase 2 dont les résultats ont été présentés par les chercheurs de l’université de Boston.
Un total de 69 patients a été traité par cette association avec des doses de 4 et 6 mg/kg de Dato-DXd, pour une survie sans progression médiane de respectivement 9,5 et 11,7 mois. Au bout de neuf mois de suivi, 50 % des patients du groupe 4 mg/kg n’avaient pas rechuté, et 70 dans le groupe 6 mg/kg. Au bout d’un an, ces taux étaient de respectivement 21 % et 39 %. Des données de plus long terme doivent être publiées.
Les inhibiteurs de l’EGFR provoquent de l’acné et des rougeurs affectant la qualité de vie
Pr Nicolas Girard, oncologue à l’Institut Curie
Prévenir les effets indésirables
D’autres travaux concernent la prévention des effets indésirables des différentes stratégies thérapeutiques. Ainsi, les chercheurs de l’Institut Curie ont détaillé les résultats de l’étude Cocoon sur la prévention des effets indésirables dermatologiques modérés à sévères avec la première ligne de traitement anti-EGFR.
« L’EGFR est présent partout, y compris sur notre épiderme, explique le Pr Nicolas Girard. Les inhibiteurs de l’EGFR provoquent donc des rougeurs très impactantes pour la qualité de vie, de l’acné. » Antibiothérapie (association de doxycycline et de minocycline), pommade de clindamycine pour le cuir chevelu, pommade de chlorhexidine 4 % pour les mains et pommade hydratante, cette stratégie simple à mettre en place est associée à une diminution de 50 % de la fréquence des effets indésirables de grade 3, et deux tiers des patients de l’étude n’ont présenté aucun effet indésirable dermatologique sérieux.
Encore peu de traitements contre les mutations KRAS
Les cancers du poumon positifs pour les mutations KRAS ont aussi fait l’objet de plusieurs publications. Ainsi, l’étude Krystal-7 démontre-t-elle l’efficacité de l’association de l’adagrasib (un nouvel inhibiteur de la famille des GTPases RAS développé par Bristol Myers Squibb) avec le pembrolizumab chez les patients ayant un cancer métastatique porteur d’une mutation KRAS G12C. Un total de 149 patients a été traité, pour un taux de réponse objective de 59,3 %. La survie sans progression était de 27,7 mois, et la moitié des patients n’avaient pas rechuté au bout de dix-huit mois, pour un profil de sécurité jugé « gérable » par les auteurs.
« En France, nous n’avons accès à aucun des nouveaux médicaments contre les cancers du poumon positifs pour KRAS, regrette le Pr Girard. L’accès précoce a été refusé par la commission de la transparence, et même s’il est vrai que la méthodologie des études présentées alors était contestable, on voit bien qu’aujourd’hui ils apportent un contrôle de la maladie pour 80 % des patients, et qu’ils sont approuvés partout ailleurs en Europe. »
Enfin, une étude française a été présentée sur l’utilisation d’un nouvel inhibiteur de la tyrosine kinase anti-HER2 : BAY 2927088. « Les mutations HER2 sont surtout connues dans le cancer du sein, mais environ 300 cancers du poumon sont porteurs chaque année de cette mutation », explique le Pr Nicolas Girard. Sur les 44 patients traités, 70, % ont répondu au traitement et 35,3 % ont répondu pendant au moins douze semaines. Le principal objectif de cette étude de phase 1 était d’évaluer le profil de sécurité. « Une étude comparative de phase 1/2 est déjà en cours en France », indique le Pr Girard.
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