LE QUOTIDIEN : Comment établir avec fiabilité le diagnostic ?
Pr ARNAUD MEJEAN : Si la biopsie des tumeurs du rein était réputée risquée, des méta-analyses ont montré aujourd’hui que, réalisée avec des aiguilles coaxiales, elle permet un diagnostic proche de 100 % en termes de type histologique et de 60 % à 70 % en termes de grade tumoral. Fiable et précise, elle ne présente pas d’effets collatéraux, ni de risque d’essaimage sur le trajet de la ponction tumorale et peu de complications hémorragiques. Elle permet en cas de tumeurs bénignes, d’une part, de rectifier le diagnostic et d’éviter de surtraiter, d’autre part, d’ajuster la stratégie thérapeutique en envisageant une tumorectomie plutôt qu’une néphrectomie totale.
Quelle stratégie thérapeutique adopter pour les tumeurs localisées ?
La prise en charge des petites tumeurs du rein, de moins de 4 cm, n’intègre pas uniquement le traitement chirurgical, mais également d’autres caractéristiques de la tumeur (taille et localisation) et du patient (âge, sexe, historique, facteurs de comorbidité, fonction rénale…). À partir d’un certain âge, il faut évoquer des traitements alternatifs à la chirurgie, thermo-ablatifs (par radiofréquence ou cryothérapie), ou une surveillance active à long terme. Le dogme de la néphrectomie totale pour toute tumeur du rein est aujourd’hui totalement battu en brèche.
Pour les tumeurs plus grosses, entre 4 et 7 cm, la néphrectomie partielle peut être tentée en respectant le plan d’exérèse et la capsule péritumorale. L’essentiel pour la préservation de la fonction rénale n’est pas le temps d’ischémie chaude mais le volume de parenchyme retiré. Il convient de retirer le moins de parenchyme possible, même si l’ischémie chaude est plus longue. Ce n’est pas tellement la taille de la tumeur qui compte mais davantage sa pénétration dans le parenchyme rénal. La stratégie thérapeutique se définit là aussi en fonction des éléments liés à la tumeur et au patient.
Quel est aujourd’hui l’apport de la chirurgie robotique ?
Pour la néphrectomie totale, l’apport thérapeutique est assez faible comparativement à la chirurgie laparoscopique. En revanche, pour la tumorectomie, le développement de la chirurgie robo-assistée permet, beaucoup mieux que la laparoscopie, de retirer des tumeurs plus grosses, avec une diminution des temps de saignements. Cependant, l’important est la stratégie thérapeutique et non la voie d’abord et la chirurgie robotique n’est qu’une voie d’abord. Ainsi, en l’absence de robot, la chirurgie conservatrice par voie traditionnelle ouverte est préférable à une intervention élargie par célioscopie.
Et pour les tumeurs avec une extension locorégionale ?
En cas d’extension locorégionale au tissu environnant, avec développement d’adénopathies et/ou un envahissement vasculaire, la stratégie est chirurgicale. Les traitements néoadjuvants à disposition ne permettant qu’une diminution maximale du volume de 20 % environ, ils n’ont pas un intérêt majeur. Mais ces patients doivent pouvoir bénéficier d’une chirurgie d’exérèse la plus optimale possible, après avoir vérifié l’absence de métastases. Il faut essayer de réaliser l’exérèse de toute la masse tumorale et d’obtenir des marges R0. Si besoin, il ne faut pas hésiter à adresser le patient à des centres experts. Même si pour l’instant aucun protocole néoadjuvant n’est recommandé, beaucoup cherchent à associer une immunothérapie et un anti-angiogénique, tel que dans l’essai néoadjuvant de phase II débutant en France d’ici la fin de l’année. Quoi qu’il en soit, une thérapie néoadjuvante ne pourra pas remplacer l’opération, mais aider à diminuer la masse tumorale afin de réaliser une chirurgie de meilleure qualité.
En situation adjuvante, l’essai S-TRAC a évalué, chez des patients à haut risque, l’ajout du sunitinib après chirurgie et montré un bénéfice en termes de survie sans progression (SSP). Par contre, ce n’est pas le cas de la survie globale (SG), probablement à cause des données immatures. Cette étude a été validée par la FDA mais pas par les instances européennes, créant aujourd’hui une inégalité entre les patients. En attendant l’issue du recours déposé par le laboratoire pharmaceutique, il n’existe pas de traitement adjuvant même si de nombreuses études sont en cours…
Au stade métastatique, quelles sont les perspectives suite à l’essai CARMENA que vous avez présenté à l’ASCO ?
L’étude CARMENA (voir encadré) permet de mieux sélectionner les patients chez lesquels il est envisageable de débuter par un traitement médical. Mais elle n’enterre pas la néphrectomie en situation métastatique. À la suite de l’essai, la difficulté évoquée était de distinguer précisément les patients auxquels proposer une chirurgie. En cas de petits nodules pulmonaires laissant évoquer des métastases, il semble éthique de continuer à opérer les patients (non inclus dans l’étude) car une diminution, voire une disparition, des nodules tumoraux est possible. De même, en cas de métastase unique, il convient de les opérer d’abord (souvent par néphrectomie totale) et de réaliser une métastasectomie chirurgicale ou radiologique, stoppant ainsi parfois à jamais l’évolution. La chirurgie se justifie également lorsque la biopsie préchirurgicale n’a pas confirmé l’existence d’un carcinome à cellules claires (CARMENA n’étant destinée qu’à ce type de carcinomes) ou en présence de symptômes liés à la tumeur primaire.
A contrario, en présence de métastases importantes et d’un état général dégradé, la chirurgie n’est pas appropriée. Ainsi, CARMENA montre que pour tous les patients intermédiaires, c’est-à-dire avec un cancer du rein à cellules claires, une masse métastatique assez importante et un état général préservé, il ne faut plus les opérer d’emblée mais les traiter par sunitinib en première intention. En cas de très bonne réponse sur les métastases, on peut les opérer secondairement, sans leur faire perdre de bénéfice en termes de survie.
Peut-on extrapoler les résultats de CARMENA du sunitinib à l’immunothérapie ?
La question d’un « CARMENA bis » avec l’immunothérapie a été évoquée mais ce n’est pas faisable. En effet, à la différence du sunitinib qui était le traitement de référence, il y a maintenant 4 ou 5 immunothérapies et leurs diverses associations. De plus, l’immunothérapie étant globalement plus efficace que les antiangiogéniques, il est difficile d’imaginer des résultats qui ne soient pas au moins équivalents, voire meilleurs. Je ne pense pas qu’il y aura de CARMENA bis avec l’immunothérapie.
Quelle est actuellement la place de l’immunothérapie au stade métastatique ?
Le traitement systémique des métastases a évolué à la faveur des nouvelles immunothérapies. Cependant, si la FDA a approuvé aux Etats-Unis l’association ipilimumab-nivolumab, ce n’est pas le cas de l’agence européenne du médicament car les molécules n’ont pas été préalablement testées en monothérapie. C’est un vrai problème car, chez la plupart des patients de pronostic intermédiaire ou mauvais, l’association donne de biens meilleurs résultats que le sunitinib seul. En France, avec l'association européenne d'urologie (EAU), nous recommandons en première ligne chez les patients avec un cancer du rein à cellules claires métastatiques, de pronostic intermédiaire ou mauvais, l’association ipilimumab-nivolumab, et pour ceux de bons pronostics, de conserver le sunitinib. Cependant, l’association n’étant pas homologuée, les options chez les patients de pronostic intermédiaire ou mauvais, restent donc le cabozantinib ou le sunitinib.
Lors du congrès de l’ESMO 2018, les résultats de l’étude de phase III JAVELIN, présentés par Robert Motzer, ont comparé chez 886 patients en situation métastatique l’avelumab associé à l’axitinib versus sunitinib. La SSP était significativement supérieure dans le bras avelumab-axitinib par rapport aux patients sous sunitinib seul : 13,8 versus 7,2 mois respectivement en cas de tumeurs PD-L1 positives (HR=0,61 ; p<0,0001) et 13,8 versus 8,4 mois pour les cancers PD-L1 négatifs (HR=0,69 ; p=0,0001). Quant aux taux de réponses objectives, ils étaient de 55,2 % versus 25,5 %. C’est la première étude montrant un très net bénéfice avec l’association d’une immunothérapie à un inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) par rapport à un ITK seul. On est également dans l’attente des résultats de la combinaison pembrolizumab-axitinib versus sunitinib, qui seraient impressionnants...
Quels sont les autres essais attendus prochainement ?
À l’avenir, nous attendons des essais de phase III en métastatique, en adjuvant et de phase II en néoadjuvant. Mais surtout, les traitements personnalisés, à la carte, semblent prometteurs. Dans l’essai BIONIKK initié à l’HEGP, les patients avec un cancer du rein à cellules claires métastatiques se voient attribuer une ligne thérapeutique en fonction des caractéristiques moléculaires de leur tumeur. Aujourd’hui, nous essayons ainsi de trouver le traitement adapté aux patients en fonction de leurs profils évolutifs. Le parent pauvre reste cependant le cancer métastatique du rein non à cellules claires, qui ne possède que quelques études de phase II et III, dont on attend les résultats dans les mois à venir.
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