Ventiler sans sédater, inconcevable ? Alors que la ventilation mécanique ne va traditionnellement pas sans sédation, même légère, des réanimateurs scandinaves ont fait le pari iconoclaste de s'en passer totalement.
L’épreuve des faits n'a pas validé leur hypothèse. Dans une étude randomisée (1) chez 700 patients ventilés mécaniquement, publiée dans « The New England Journal of Medicine », l’équipe dirigée par le Dr Palle Toft rapporte qu’il n’y a pas de bénéfice sur la mortalité à 90 jours à se passer de toute anesthésie par rapport au fait d'administrer une sédation légère.
Pourquoi avoir tenté de remettre en cause le standard de prise en charge ? Ce travail s'inscrit dans une tendance générale en soins intensifs à vouloir diminuer la sédation, malgré « la réticence des soignants à s’occuper de patients agités ou douloureux », rappelle le Pr Claude Guérin des Hospices civils de Lyon dans un éditorial. La sédation profonde et prolongée présente en effet des inconvénients connus (durée de ventilation, éveil retardé, fonction neuromusculaire, délire, effets secondaires des molécules utilisées).
Sédation avec interruption quotidienne
Les auteurs expliquent : « alors que les avancées technologiques ont rendu les ventilateurs plus confortables pour les patients, il a été admis de façon générale qu’une sédation légère devait accompagner la ventilation mécanique. Pourtant, des essais publiés au cours de ces deux dernières décennies ont rapporté que l’utilisation de sédatifs pouvait altérer le pronostic des patients ventilés ». Deux études en particulier ont montré qu'une sédation avec interruption quotidienne, pour l'une (2), diminuait la durée de ventilation mécanique et celle des séjours en réanimation, et pour l'autre (3), réduisait la mortalité et la durée d'hospitalisation.
Si la réduction de la sédation a des effets positifs, serait-il alors possible de s’en passer complètement ? La même équipe nordique a déjà montré dans une étude monocentrique (4) qu’un programme sans sédation était associé à une diminution de la durée de ventilation mécanique et à celle du séjour en soins intensifs ou à l’hôpital par rapport à une approche standard avec interruption quotidienne de la sédation. Comme l’essai n’avait pas la puissance pour montrer une différence de mortalité, les auteurs ont voulu en avoir le cœur net en lançant cette nouvelle évaluation dans huit centres : cinq au Danemark, deux en Norvège et un en Suède.
Des patients intubés éveillés
Dans l’étude, 700 patients, âgés en moyenne de 70 ans, ont été admis en réanimation pour pneumonie ou syndrome de détresse respiratoire aigu (42 %), sepsis (23 %), exacerbation de bronchopneumopathie chronique obstructive (6 %), traumatisme (3 %), asthme sévère (3 %), complications postopératoires (2 %), saignement digestif (1 %) ou autres (20 %). Les 350 patients du groupe sans sédation ne recevaient aucun sédatif mais pouvaient recevoir des bolus de morphine pour l’analgésie, si les soignants l’estimaient nécessaire. Ces patients intubés étaient éveillés et capables de communiquer.
Dans le bras sédaté (les 350 patients restant), le protocole consistait en l’administration de propofol durant les 48 premières heures, remplacé ensuite par du midazolam. L’objectif était d’avoir une sédation légère, c’est-à-dire entraînant un niveau d’éveil de -2 à -3 sur l’échelle RASS, celle-ci allant de -5 (sans réponse) à +4 (agressif). Chaque matin, la sédation était interrompue afin d’obtenir un éveil complet, défini comme la capacité à réaliser au moins trois des quatre tâches suivantes : ouvrir les yeux à la commande verbale, suivre avec les yeux les instructions de l’examinateur, serrer les mains de l’examinateur et tirer la langue à la demande. Durant la période d’éveil, le patient était débranché du ventilateur. Si les exercices étaient correctement réalisés, la dose de sédation était diminuée de moitié par rapport à ce qui était utilisé avant l’interruption.
À 90 jours, la mortalité s’est avérée de 42,4 % dans le groupe non sédaté par rapport à 37 % dans le groupe sédaté (différence non significative). Le nombre de jours passés en réanimation et celui sans ventilation n’étaient pas non plus significativement différents. Point positif pour la non-sédation, il y a eu un jour de moins passé dans le coma ou en délire dans le groupe non sédaté par rapport à celui sédaté. Sans surprise, il y a eu davantage d’extubations accidentelles dans le groupe non sédaté.
Pour le Pr Claude Guérin, « ces résultats sont importants car ils soulèvent des inquiétudes sur le fait de se passer de sédation chez les patients ventilés mécaniquement et renforcent la nécessité d’une surveillance clinique de la sédation avec pour objectif de l’arrêter dès que possible ou au moins de l’interrompre quotidiennement ».
(1) H Olsen et al., NEJM, DOI :10.1056/NEJMoa1906759, 2020
(2) JP Kress et al., NEJM, DOI: 10.1056/NEJM200005183422002, 2000
(3) TD Girard et al., Lancet, 2008;371:126-34
(4) T Strom et al., Lancet, 2010;375:475-80
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