Concernant la prescription des antalgiques opioïdes en médecine générale en France, il existe de profondes difficultés de coordination des soins entre les différents acteurs de la prise en charge de la douleur. Telle est la principale conclusion de la première étude sur les usages de médicaments opioïdes antalgiques (Emoa), lancée en 2022, et qui vient d'être publiée par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) dans son dernier numéro de « Tendances ».
Cette analyse sociologique s'attache à étudier la manière dont sont prescrits les antalgiques opioïdes en se basant sur les récits de 23 médecins généralistes exerçant sous statut libéral, salarié ou mixte et dans différents contextes organisationnels : centre de santé, cabinet libéral, maison de santé pluriprofessionnelle, Ehpad.
Pour les généralistes interrogés, la décision de prescrire ces médicaments, ou de le déprescrire, se fonde souvent sur le recours à d'autres praticiens, souvent hospitaliers, ainsi que sur les savoirs scientifiques. Deux sources sont le plus souvent évoquées : la revue « Prescrire » et, moins fréquemment, les recommandations de l’agence du médicament (ANSM). Enfin, les médecins s'appuient aussi souvent sur des retours d'expérience, qu'il s'agisse de leur propre expérience ou de celle de leurs patients ou confrères.
Des logiques collectives
« Les décisions d’initier, de modifier ou d’arrêter un médicament ne peuvent être réduites à des comportements individuels. Loin de cela, expliquent les auteurs, le processus de prescription s’inscrit dans des logiques collectives. » Une telle logique n'est pas toujours facile : les médecins interrogés se déclarent souvent gênés par des difficultés de coopération entre les différents acteurs du système de soins, et notamment entre généralistes et professionnels intervenant dans des structures spécialisées dans le traitement de la douleur ou des addictions.
La raison tient au manque d'intégration des médecins généralistes dans les réseaux de soins. Les raisons pour lesquelles il est difficile de déprescrire un médicament opioïde antalgique sont multiples et vont du manque de soulagement durable d’une douleur chronique jusqu’à la difficulté de prévoir un changement pour un patient considéré comme « stabilisé » ou qui « supporte bien » le médicament pris au long cours. En outre, les médecins interrogés rencontrent plus ou moins des difficultés à organiser les soins pour prendre en charge un problème avec les opioïdes antalgiques.
La tentation de minimiser les problématiques liées aux opiacés
Face à ces difficultés, les auteurs de l'enquête ont identifié trois façons de réagir : tout d’abord, « certains médecins sont en mesure d’internaliser le problème et de le prendre en charge, en particulier lorsqu’ils exercent dans des contextes où ils sont entourés de professionnels de différentes spécialités », expliquent-ils.
Ensuite, d’autres médecins plus isolés « peuvent externaliser le problème avec le médicament, en orientant les patients vers des structures ou des spécialistes jugées plus compétents pour le traiter ».
La troisième attitude, plus problématique, consiste à « minimiser la gravité des problèmes avec les opioïdes (notamment la dépendance) et traiter de manière exclusive le problème de la douleur ».
Ceux et celles qui internalisent les problèmes ont également plus souvent une formation complémentaire en addictologie, gériatrie/soins palliatifs ou santé mentale que les médecins qui externalisent ou minimisent les problèmes.
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